AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9791032929049
L'Observatoire (03/01/2024)
3.88/5   114 notes
Résumé :
C'est une bourgade entre mer et champs, avec son église, ses fermes, ses habitants rugueux et taciturnes. Avec ses cauchemars aussi, car ce qu'on a fait au cheval des jumeaux Bellay, aucun animal n'en serait capable. Julia, vétérinaire, et Stéphane, maréchale-ferrante, ex-citadines fraîchement arrivées dans la région, en sont persuadées : seul un homme a pu commettre pareille atrocité.
Au fil des jours, de nouvelles carcasses sont retrouvées, et les villageo... >Voir plus
Que lire après Le Ciel en sa fureur Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (45) Voir plus Ajouter une critique
3,88

sur 114 notes
Cela démarre fort, très fort, avec un saisissant incipit qui voit pleuvoir des grenouilles et des crapauds sous les yeux sidérés des habitants d'un village du Cotentin, plaie biblique qui semble annonciatrice d'une apocalypse à venir, très terre à terre, elle, en l'occurence des animaux retrouvés mutilés.

La formidable réussite de ce roman passe par la scénographie d'une ambiance magnétique qui scotche complètement le lecteur à un récit ancré au plus profond de lieu qu'on croirait sorti d'un conte : des dunes, de la brume, de la pluie, un ciel menaçant, une mer houleuse, mais aussi une Lande des Morts, un ruisseau aux rats ou encore une fontaine aux fées. Mais ici, rien de bucolique ou de charmant, tout est rugueux, tendu et oppressant.

« Cette terre normande est parcourue d'ondes étranges, d'énergies contradictoires qui fragilisent les nouveaux arrivants, les secouent, font vaciller leur rationalité. Depuis leur arrivée au village, les deux anciennes citadines ont du mal à comprendre comment des gens aussi ancrés dans la terre peuvent être autant attachés à tous ces contes et légendes fantasmagoriques. Cela doit avoir quelque chose à faire avec la mort. Les superstitions entourant les fantômes sont bien plus commodes à se représenter que la réalité de la finitude et de sa pourriture. »

Adeline Fleury assume totalement le recours au réalisme magique, créant un récit à la fois très humain dans ce qu'il dit des violences tues dans des secrets quasi ancestraux, et terriblement irrationnel. L'enquête pour découvrir qui a mutilé les animaux se mâtine de légendes normandes, convoquant le Varou, les goubelins, les enfants-fées, enchaînant les événements étranges. Et jusqu'au bout, on ne sait si l'autrice va choisir une résolution réaliste ou ouvrir sur une perspective fantastique.

La porosité entre la réalité et les légendes réveille des peurs presque enfantines, on sent comme des présences invisibles flottées entre les pages. D'autant que la langue déployée est d'une grande richesse, gorgée d'adjectifs, en symbiose absolue avec ce qui est raconté, prenant parfois son temps à se déployer dans un lyrisme organique et sensoriel, pour ensuite s'accélérer dans une nervosité de thriller.

La construction est travaillée de telle façon à nourrir l'intérêt et la surprise du lecteur. Chaque fin de chapitre appelle le début du suivant avec subtilité et addiction, chaque personnage introduit est utile pour enrichir un fil narratif très polar, véritables catalyseurs de l'intrigue. Et ils sont tous formidables, ils ont des corps, des émotions, des secrets, des blessures, on les voit, on les entend, qu'on les comprenne ou pas, tant ils sont incarnés au possible.

A commencer par la Grande Stéphane. Personnage génial de femme puissante et faillible, cette citadine a fuit ses démons en se disant qu'elle s'épanouirait dans ce village normand où elle est installée en tant que maréchale-ferrante. Mais son métier, identifiée comme masculin, ainsi que son physique imposant, détonnent et la rendent forcément suspecte dans cette communauté rurale déjà fracturé entre les agriculteurs là depuis toujours et « ceux des lotissements », les habitants récents.

« Une chose est certaine, ce bout du terre entre campagne rude et mer menaçante appartient à un seul petit groupe, dont elle ne fera jamais partie. Ce cap des tempêtes et ces champs humides, venteux et boueux ne se laissent pas apprivoiser facilement. Les nouveaux venus devront toujours, éternellement, impérativement, sans échappatoire, payer une taxe à ceux qui y sont nés, n'en sont jamais partis et n'en partiront jamais. Ceux-là appartiennent à ce territoire jamais il ne se posent la question « quel est mon pays », les âmes et les corps chevillés aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit et de grès près des falaises. Ceux des villes peineront à comprendre, ils auront beau s'enticher de cette campagne, la terre leur balancera son hostilité et sa sauvagerie à la gueule. La beauté tyrannique et implacable des paysages les accablera. La mélancolie les gagnera peu à peu, puis le désespoir. »

Un roman à l'aura puissante, porté par une histoire et une écriture charismatiques, jusqu'au somptueux épilogue.




Commenter  J’apprécie          12028
Ce conte gothique nous plonge dans une ambiance ensorcelante teintée de réalisme magique, dans un enchainement haletant de thriller campagnard, rythmé par la monstruosité des hommes. Atmosphère Atmosphère…

Adeline Fleury campe son histoire sur un territoire situé entre campagne rude et mer menaçante du côté de la Normandie. A priori une bourgade comme il en existe tant entre mer et champs, avec ses fermes, son église, son bar, ses habitants taiseux et rugueux. Mais c'est ici un territoire qui ancre solidement les âmes et les corps aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit près des falaises. Un territoire hostile et sauvage qui mord et rejette celles et ceux qui viennent d'ailleurs, les citadins notamment, qui menacent ceux qui vivent dans ses lisières, celles et ceux du lotissement. Entre cap et des tempêtes et champs boueux et marécageux, un territoire qui ne s'apprivoise pas facilement.

« Ici, les vagues et les landes rivalisent pour faire sentir aux hommes qu'ils sont attachés à quelque chose de lourd ».

De sa plume envoutante, l'auteure saupoudre sur ce territoire rude superstitions fantasmagoriques et légendes, peuplées de monstres, de varous, d'enfants-fées, d'un géant et de goubelins aussi effrayants que les mouches, araignées, orvets, crabes, serpents et asticots qui débordent de toute part et dégagent, des tas de fumier, des marécages, des maisons abandonnés mais aussi des cauchemars, les relents pestilentiels, âcres et puissants de cette campagne mystérieuse.
Ces éléments combinées, entrelacés, produisent une ambiance gothique, des ondes étranges, des énergies contradictoires faisant vaciller toute rationalité alors qu'en même temps nous sommes dans ce qu'il y a de plus humain, dans les bassesses et lâchetés humaines les plus inavouables. Car ne nous méprenons pas, ce sont les hommes qui produisent les monstres, ceux-là même qu'ils tentent ensuite de combattre, eux qui produisent des solitudes et des drames dont les conséquences retombent sur des générations et des générations d'habitants à l'origine des légendes et des croyances irrationnelles.
Ce balancement perpétuel du récit entre réalisme magique et psychologie humaine rend la lecture addictive et étrange, ne sachant jamais vers quoi nous amène l'auteure, coincés que nous sommes entre curiosité, cauchemar et légendes…Seule certitude plane l'ombre glaciale de la vengeance…


L'histoire débute de façon très impressionnante au sein du lotissement qui jouxte le village. Tel un message biblique de mauvais augure, il y pleut des crapauds. Une des plaies d'Egypte dans l'Exode. Notons au passage que la façon froide, mécanique, presque cynique, de décrire le lotissement juste avant le drame, sorte de lisière qui n'est ni la campagne ni la ville, comme avait également superbement décrit Olivier Adam dans Les lisières, ce déterminisme social, m'a tout de suite plu tant je suis fascinée par ces entre-deux, par ces gens ni paysans, ni citadins, « on ne sait pas trop ce qu'ils sont d'ailleurs », sans vraiment d'identité, ils semblent se ressembler tous avec leurs maisons identiques à un étage à la façade beige et au portail bordeaux, aux portes de garage bordeaux assorties car le bordeaux ça fait noble, c'est élégant…

« Ceux du lotissement ont un quotidien réglé comme du papier à musique. Ils vivent à la campagne sans en profiter, enfermés dans leur maison témoin, leur voiture témoin et leur sexualité témoin, celle du samedi soir conjugal ».

Cette pluie de crapauds laissant les routes et les chemins visqueux et gluants est prémonitoire d'un drame à venir. Et en effet, au sein du village, il se passe également des choses étranges. Un cheval des jumeaux Bellay a été blessé de façon sauvage et Julia, jeune vétérinaire, certifie qu'aucun animal n'a pu infliger les blessures constatées. le bélier noir de Sylvie a été tué de façon mystérieuse. Une vache venant de vêler a vu son pis sectionné. Les villageois affirment que le Varou est revenu pour s'abreuver du sang des bêtes. Les atrocités se multiplient et le petit Levavasseur, surnommé l'enfant-fée, si curieux avec sa tête disproportionnée, son visage précocement ridé, et son regard bleu acier, disparaît après avoir été vu préalablement sur toutes les scènes où les agressions ont été commises. La grande Stéphane, Guillaume, journaliste, et une vieille femme, une rebouteuse, s'allient pour enquêter.


J'ai beaucoup aimé la plume de l'auteure qui s'adapte à merveille à son récit, offrant par moment des plans fixes quasi cinématographiques d'une beauté noire à couper le souffle, dans lesquels le temps est suspendu, puis accélérant aussitôt quelques lignes plus loin pour mener à bien le thriller.
« le vent a chassé les nuages gris et pesants, le soleil assèche peu à peu les terres et le bitume. le clocher en bâtière de l'église se révèle en haut de la côte. Les femmes se terrent dans leurs demeures, Battut en distingue certaines tirant discrètement les rideaux sur leur passage. Seule Lili erre au milieu de la place. Elle traîne derrière elle un cabas duquel dépassent des pieds de poupées, une petite chaussure tombée sur les pavés ».

Le roman est un décliné de noir, de sépia, de gris avec son ciel poisseux et bas, sa lande sombre, son océan d'un bleu foncé froid, ses marécages marronnasses d'où débordent des orvets noirs, son crachin qui décolore le village dans toutes les nuances de gris. Les éléments tels qu'ils sont décrits, que ce soit la lune, les marécages, les dunes, l'océan, la maison abandonnée donnent l'impression de lire un conte.
« La lune est énorme. Elle habille de blanc les marécages brumeux. Elle les enveloppe d'un voile laiteux. Pas un animal ne bouge, aucun souffle de vent ne meut les végétaux, tout semble se figer sur le passage du géant. Il a terminé sa course. Il est immobile. Sa rage aussi. Elle est bloquée dans sa large poitrine. Intacte et cruelle. Comme un poignard fiché là depuis toujours. Une éternité déjà ».
Notons également des chapitres bien travaillés, chaque fin de chapitre est bien aboutie et comporte du suspense de façon à avoir envie de continuer avec le chapitre suivant. Quelques passages en italiques donnent une dimension fantastique au récit et interpellent grandement le lecteur. Et soulignons surtout des personnages croqués avec délicatesse et justesse, deux personnages m'ont particulièrement marquée, celui de la Vieille et de la grande Stéphane, deux femmes puissantes aux antipodes des archétypes féminins habituels qui fait de ce roman un livre résolument féministe.


Le ciel en sa fureur est un roman particulièrement envoutant par son côté conte, ensorcelant par son ambiance magnétique et gothique, haletant par sa facette thriller, angoissant par sa noirceur, mais dans lequel le réalisme magique apporte des touches de poésie lumineuses très émouvantes. Un livre percutant doté d'une étrange aura ! A découvrir ! Merci à Marie-Laure (@Kirzy) dont la magnifique critique enthousiaste m'a, comme si souvent, convaincue de me le procurer immédiatement !


Commenter  J’apprécie          8231
Attention ! Lecteurs cartésiens, attachés à situer les livres dans des cases bien précises, habitants du beau Cotentin ou sensibles à la souffrance animale, possiblement s'abstenir !
Le ciel en sa fureur, dernier de mes coups de coeur, est un roman totalement inclassable. Je découvre à cette occasion sa jeune autrice, Adeline Fleury, que j'ai eu le plaisir de rencontrer l'autre jour, elle était invitée avec son éditrice des éditions de l'Observatoire par mes libraires préférées.
Tout semblerait partir d'un fait divers sordide, quelque chose qui m'a rappelé ce qui arriva dans certaines de nos campagnes il y a très peu de temps, une vague de mutilations portées sur des chevaux. Ici ce qu'on a fait au cheval des jumeaux Bellay relève d'une barbarie sans nom…
Tout commence ainsi.
Le récit qui pourrait prendre le chemin de cette chronique ordinaire horrible, n'en fait pas pour autant le ressort narratif, qui est ailleurs.
Ailleurs, c'est déjà un territoire, son paysage.
Une anse au bout du monde, un endroit perdu dans le Cotentin profond. C'est un village de taiseux entouré de mers, de marécages et de légendes, un décor qui contient dans la vase et la boue qui l'entourent peut-être un secret ancien, encore enfoui.
Imaginez ici un lotissement qui s'est construit à l'orée d'un village rural.
Sur ce territoire, l'autrice pose des personnages et des odeurs.
Dans ce lotissement, des habitants uniformes évoluent tels des playmobils, ils sont anonymes sans jamais être au coeur du roman, ou presque. Ils vivent les uns à côté des autres mais pas ensemble.
Les personnages de ce roman, ce sont des femmes, des hommes, des charognards, des êtres maléfiques…
Deux figures féminines vont se détacher par le désir amoureux de l'une pour l'autre : la grande Stéphane, homosexuelle assumée, maréchale-ferrante et Julia vétérinaire, exerçant toutes deux des métiers d'hommes. Elles viennent de la ville, chacune porte des blessures, la sociologie qui adore classer les gens les appelle des néo-rurales.
J'ai aimé entrer dans le sillage de ces deux personnages. Dans ce village marqué par les traditions et les croyances anciennes, elles font figure d'anomalies, voire d'anormalité. Pourtant, à l'inverse des gens du lotissement elles cherchent à s'intégrer au sein de la communauté du village, malgré leur différence, elles ont fait le choix d'y habiter, d'y travailler.
J'ai aimé l'effleurement d'amour entre ces deux femmes éprises de désirs, de sororité.
D'autres personnages comme surgis d'un conte gothique viennent dans cette farandole étonnante, ils ne sont jamais nommés.
Un garçon blond, hypersensible.
L'étranger au bout du chemin, la peur de l'autre,
La vieille.
La femme qui va tenir le bistrot.
La fille du lotissement 13.
Un enfant-fée...
Et puis aussi des crabes, des araignées, des rats, des goubelins, des asticots, des maquereaux qui frôlent les jambes de la grande Stéphane qui se baigne dans l'eau d'une plage solitaire le matin, tandis que que quelqu'un là-haut depuis la dune écarte les hautes herbes pour l'observer.
Le personnage principal n'est peut-être rien d'autre que la géographie du territoire où gisent ces pages.
Tout le monde se regarde avec suspicion. Les drames qui s'opèrent dans le livre sont des drames anciens, qui se répètent avec désormais la difficulté de vivre ensemble.
Le côté thriller nous tient d'emblée en haleine, mais les personnages semblent liés à autre chose. Alors, Adeline Fleury, déjouant les codes narratifs, nous entraîne ailleurs, entre réel et surnaturel, dans un réalisme magique porté par un souffle romanesque envoûtant et par une écriture poétique posée sur de la noirceur, qui m'ont ébloui tout au long du récit.
Le roman tient dans cette dislocation entre le réel et le surnaturel. L'autrice ne tranche jamais et je lui rends grâce.
C'est sans doute ce qui pourrait déconcerter furieusement le lecteur, le surprendre parfois au bord des dunes pour le plus grand plaisir de ce paysage envoûtant.
C'est un texte ancré dans le réel et hanté par la magie d'un lieu, d'une rencontre, d'une histoire.
L'autrice ouvre une brèche, nous perce un chemin dans des pages souterraines, offre plusieurs pistes, plusieurs lectures, réussit un défi, rendant impossible de situer son roman dans un endroit quelque part entre littérature blanche et noire. Propose-t-elle de passer d'un registre à l'autre, comme on ouvre des portes passant d'une pièce à l'autre ? Non, car tout est cela en même temps.
Il y a une violence qui traverse les pages de ce livre, la fureur d'un ciel renversé, un retour primaire, presque légendaire, des croyances surnaturelles. C'est un texte possédé comme si on avait jeté un sort à la terre.
Ce roman est une fresque d'humanité à sa manière. La dimension onirique, à la frontière du fantastique, est un prétexte, pour convoquer des thèmes fort actuels, nous aidant à comprendre le monde qui nous entoure de manière elliptique.
L'autrice ne nous dit jamais quand ni où nous sommes. Qu'importe l'absence de repères temporels, puisque les thématiques sont actuelles et seront encore là dans six ou quinze ans.
Adeline Fleury me rappelle qu'en littérature j'aime qu'un écrivain me raconte une histoire, j'aime que la littérature puisse tenter de nous guérir de la mélancolie et du désarroi du monde, pour peu que le texte me dise quelque chose aussi.
Ce texte pourrait relever de l'exercice de style s'il n'y avait pas autre chose de plus profond : en convoquant des pluies de crapauds et des êtres maléfique, Adeline Fleury ne parle jamais aussi bien du déterminisme social, de la soumission, de la question de la norme, de la différence, du rejet de l'autre, du poids des secrets et de la vengeance...
Adeline Fleury vient par ce roman insaisissable casser les codes de la littérature française et ses règles un peu rigides. Elle fait place nette au récit et cela fait du bien.
Il y a une voix, des voix dans ce texte et j'ai l'impression de les avoir entendues en refermant ce livre, de les entendre encore, dans l'agonie du vent du large.
Il pourra continuer à pleuvoir des crapauds et des orvets, je m'en remets désormais à la volonté de cette autrice, au pouvoir des mots et de son imaginaire. Adeline Fleury me rappelle que c'est dans la vase des étangs et des marécages que naissent les libellules.
Commenter  J’apprécie          4047
Genre: Pluie de crapauds

Je sors le parapluie, je ne sais pas trop ce qu'il va pleuvoir : des enclumes, des pommiers, des invectives, des centrales nucléaires, des catamarans, du beurre salé ou des agneaux de pré-salé ? Les sardines sont déjà prises par Murakami.
Je précise que je ne hais point le Cotentin et les cotentinois(es), que je suis un fan absolu des critiques de Marie-Laure (@Kirzy), de Chrystèle (@HordeDucontrevent), de Télérama et du Monde de livres mais que je dois être honnête avec moi-même :
Je suis passé totalement à coté de ce livre. Je ne l'ai pas juste frôlé, je suis passé à des années-lumières.
J'adore le réalisme-magique (j'ai été biberonné aux meilleurs sud-américains et japonais du genre), je ne refuse pas une goutte de calvados, j'ai des souvenirs émus (et mouillés…) du Nez de Jobourg etc.
Force est de constater que dés l'incipit, j'ai su que j'allais m'empoisser dans ce récit gothico-biblique subtilement ancré dans les contes et légendes locales.
Ma déception a été à la hauteur de mon intérêt pour la chose. En 1977, Jeanne Favret-Saada publiait son fameux: « Les Mots, la morts, les Sorts » où l'ethnologue décrivait les pratiques de sorcellerie et les croyances dans le bocage mayennais et j'avais adoré son implication, sa conclusion maligne : on y croit ou on reste ethnologue. Il n'y a pas d'alternative.
Adeline Fleury a l'adjectif qui va bien et la plume funky. Je dois lui reconnaitre une parfaite maitrise des tempos (tempi) avec ses fougueuses accélérations et ses ralentissements qui frisent l'enlisement (boueux).
Ce qui m'a posé problème c'est justement le parti-pris de l'auteure de laisser au lecteur le choix d'une double lecture : ici le réalisme magique serait compatible avec la magie du Réel. Mais le Réél de le Ciel en sa Fureur n'est que tragédie absolue. Tout n'est que violence, vengeance et cruauté, une micro-version normande de Crime et Châtiment. Les fluides funestes se répandent sur une humanité désolée.
L'histoire de ce village perdu entre dunes, mer houleuse et sombre, falaises menaçantes, ruisseau aux rats et forêts occultes se dilue dans une sorte d'anti-banalité du Mal. Il y sera question de secrets rapidement éventés, d'organismes mutilés (vache, cheval, mouton…) et donc de la vengeance d'un certain géant que tente d'humaniser un enfant-fée.
On fera donc connaissance avec le Varou, les Gobelins et les fêtets.
On écrasera lombrics, asticots, grenouilles, anguilles, orvets et serpents de toute sorte.
On pataugera dans la boue, le fumier, les marécages.
Les personnages sont tous moins attachants les uns que les autres ( à part l'immense maréchale-ferrante qui distille ici ou là un brin d'amour et d'amitié), les enfants du lotissement sont odieux.
Tout n'est que sauvagerie, rugosité, âpreté.
L'épilogue est particulièrement visqueux mais on en a bien assez dit :
Je croyais être passé à coté mais c'est faux : ce récit m'a englouti, corps et âme.
Commenter  J’apprécie          5335
Le village n'est pas seulement un assemblage de batisses qui abritent des familles ordinaires. Il est fait de son histoire et de ses légendes. de ses non-dits aussi, d'un passé obscur que l'on préfère enfouir sous des tombereaux de silence, pour s'emparer de nouveaux combats.
Mais rien de plus efficace qu'un enfant pour s'acharner sur un mystère à élucider. Ou une jeune femme que la violence de la ville a chassée.


Une galerie de personnages issus de contes d'antan, de la sorcière bienveillante au prêtre sulfureux, des enfants-fée ou des enfants bourreaux, et des êtres atteints d'une folie douce qui pourrait bien trouver son origine dans la noirceur des faits oubliés.


Une ambiance étrange à souhait et la curiosité de comprendre ce qui plane au dessus de ce village maudit créent une addiction quasi immédiate : difficile de renoncer à quelques pages de plus, voire de dévorer l'ensemble jusqu'à la fin.

Un excellent moment de lecture pour lequel je remercie Babelio et les éditions de L'Observatoire


205 pages L'Observatoire 3 janvier 2024
Masse critique Babelio
Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          570

Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Le silence dans le bourg est lourd, les habitants ruminent leurs secrets indicibles derrière l'humidité des murs. Quelques herbes folles soulèvent les pavés de la place du village marquée du sceau de la honte et de la désolation. La porte en bois de l'église grince, le prêtre est à genoux devant l'autel. Les mains jointes sur son front, les yeux clos, il prie. Il prie pour que le village s'en sorte, pour que la haine et le dégoût ne l'accablent pas, pour que la mort ne frappe pas à nouveau. Pour que tout redevienne comme avant, avant quoi il ne sait pas. Il a les mains moites malgré le froid. Il prie pour le retour des temps sereins où rien ne portait à conséquence.
Commenter  J’apprécie          30
Marie a le regard fuyant. Elles traversent la cour de la ferme. Les relents de bouse mélangés à ceux du tas de fumier s'immiscent dans leurs narines. Julia aime bien ces odeurs fortes, authentiques. C'est la première fois qu'elle rentre chez les Levavasseur. Marie la fait passer à la cuisine, son territoire. Ici, Marie cuisine, ici, Marie fait les comptes, ici, Marie rêve à une autre vie en écoutant la musique à la radio, ici Marie déprime un peu. Un côté de la table massive est recouvert de dossiers, de factures, de bons de commande, toute l'activité de l'exploitation laitière est consignée dans ces pochettes en carton.
Marie a perdu son sourire il y a fort longtemps, vaincue par l'ennui, l'étroitesse de sa vie réduite à cette sombre cuisine de ferme. La lumière c'est pour les hommes, les champs c'est pour les hommes, l'horizon c'est pour les hommes. Elle envie Julia, libre de son corps, libre d'exercer le métier qu'elle a choisi, libre de leur tenir tête, aux hommes. Marie est juste bonne à récurer les stalles des vaches l'après-midi, à nourrir les poules, ce à quoi s'ajoutent les tâches administratives, la comptabilité, les commandes, le ménage à la maison et l'éducation des garçons, comme sa mère et sa grand-mère avant elle. Elle abat le travail d'un homme tout en s'occupant de la maison, sans s'apitoyer. Alors elle peut bien en avoir ras le bol parfois. C'est à peine si elle a une existence légale, le métier d'agricultrice n'étant pas encore vraiment reconnu elle reste et demeure femme d'agriculteur.
Commenter  J’apprécie          00
La terre n'en a pas fini de malmener les hommes, ici la nature l'emportera toujours. Les saisons seront effroyables, les terreurs d'été succéderont aux terreurs d'hiver, dans un enchaînement rythmé par la monstruosité des hommes. Le gamin blond, lui, est déjà loin, sur la plage, assis face à la mer, les goélands sont à la fête, l'eau est poissonneuse. L'enfant-fée regarde les maquereaux sauter vers le ciel. Un arc-en-ciel se forme sur la mer, puis explose en une myriade de gouttes.
Commenter  J’apprécie          20
Une chose est certaine, ce bout de terre entre campagne rude et mer menaçante appartient à un seul petit groupe, dont elle ne fera jamais partie. Ce cap des tempêtes et ces champs humides, venteux et boueux ne se laissent pas apprivoiser facilement. Les nouveaux venus devront toujours, éternellement, impérativement, sans échappatoire, payer une taxe à ceux qui y sont nés, n'en sont jamais partis et n'en partiront jamais. Ceux-là appartiennent à ce territoire, jamais ils ne se posent la question « quel est mon pays ? », les âmes et les corps chevillés aux sols acides et marécageux près du val et aux roches de granit et de grès près des falaises. Ceux des villes peineront à comprendre, ils auront beau s'enticher de cette campagne, la terre leur balancera son hostilité et sa sauvagerie à la gueule. La beauté tyrannique et implacable des paysages les accablera. La mélancolie les gagnera peu à peu, puis le désespoir.
Commenter  J’apprécie          00
Et puis la vétérinaire, elle sait aussi pas mal de choses sur les gens du coin ; comme le facteur, elle entre dans la vie des paysans, elle observe, elle voit, elle entend, elle perçoit dans les regards souvent fuyants les douleurs, les difficultés, la rudesse de leur métier, elle devine dans leurs silences les secrets ancestraux, elle comprend en les observant les savoir-faire, les gestes répétés de génération en génération. Elle sait aussi la lassitude des femmes, que les enfants partiront à la ville, qu'ils casseront la tradition, qu'ils veulent gagner de l'argent sans effort physique, pouvoir s'octroyer une grasse matinée le dimanche, partir à la montagne en février, au soleil une fois par an. C'est pas une vie, la ferme. Trop de contraintes, trop de dettes, trop de pression. Les enfants ne veulent plus d'une existence les pieds crottés, les joues couperosées, le froid et l'humidité dans les os.
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Adeline Fleury (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Adeline Fleury
VLEEL 297 Rencontre littéraire avec Adeline Fleury, Le ciel en sa fureur, Éditions de l'Observatoire
autres livres classés : Normandie (France)Voir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (365) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (6 - polars et thrillers )

Roger-Jon Ellory : " **** le silence"

seul
profond
terrible
intense

20 questions
2865 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , thriller , romans policiers et polarsCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..