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Critique de berni_29


Aujourd'hui c'est mercredi et mercredi, c'est... ?
« Les histoires à Berni ! » Cette fois, les enfants ont crié à l'unisson ces quelques mots comme un cri de ralliement.
La maîtresse d'école, Sandrine s'est tout d'abord adressé à ses élèves avant de me laisser la parole. « Aujourd'hui, nous accueillons une nouvelle élève, la petite Sylvie ». Elle a fait un geste pour accueillir la petite Sylvie. Tous les élèves ont dit d'une seule et même voix : « Bonjour, Sylvie ! » Celle-ci sans se laisser intimider leur a répondu : « Salut les poteaux ! »
Une fois n'est pas coutume, la petite Doriane est arrivée en retard. Elle est entrée dans la classe, tout essoufflée, la bouche barbouillée de chocolat.
La petite Nico lui a lancé d'un air narquois : « Oh qu'il était bon le petit déjeuner ! Hein ? », tandis que le caméléon posé sur les épaules de son voisin le petit Paul lui faisait des yeux gourmands.
« J'avais oublié mon cahier et mon crayon, je suis revenu à la maison les chercher », avoua la petite Doriane pour se justifier. « Héhé, ricana la petite Nico on n'en a pas besoin, on est là juste pour écouter Berni ». La petite Doriane s'est approchée de sa camarade comme pour la narguer de son air pincé, en relevant la tête fièrement : « Mais moi Madame, je prends des notes parce que ce que dit Berni, c'est très intéressant ! »
« Ah, soupira Sandrine la maîtresse d'école en souriant et me regardant d'un air complice, ces deux-là, un vrai numéro de duettistes, je te jure... »
Alors, je me suis avancé vers les élèves, montrant la couverture du petit roman illustré que je tenais dans la main, Capitaine Rosalie.
« Je vais vous parler d'une guerre qui s'est déroulée dans notre pays il y a de nombreuses années, la guerre 14-18 qu'on appelle aussi la première guerre mondiale. Ma grand-mère a d'ailleurs connu cette guerre, elle avait vingt-quatre ans lorsque cette guerre commença, à peu près l'âge de la maman de Rosalie, le personnage dont je vais vous parler aujourd'hui. Et tout comme la maman de Rosalie, ma grand-mère fabriquait des obus dans une usine, car pratiquement tous les hommes en âge de combattre étaient déjà sur les champs de bataille. C'est pourquoi cette histoire me touche un peu aussi. »
Un long silence s'est posé dans l'assistance.
« Ta grand-mère a connu la guerre 14-18 ? Waouh ! », s'exclama alors la petite Anne-Sophie, me regardant de la tête aux pieds, j'ai eu alors l'impression qu'elle me prenait pour un vieux Monsieur et je vous avoue avoir été un peu vexé.
L'histoire se passe durant l'hiver 1917. Rosalie a cinq ans et demi. Son papa est à la guerre depuis trois ans déjà. Sa mère travaille à l'usine.
Alors, je demande pour savoir si tout le monde m'a bien écouté depuis le début : « Et que fabrique-t-elle à l'usine, la maman de Rosalie ? »
- Des chocolats ? a suggéré la petite Doriane avec un large sourire.
- C'est bien la peine de prendre des notes, s'est alors exclamé la petite Francine en haussant les épaules. Mais non, elle fabrique des bombes.
Alors, j'ai continué de raconter le récit.
Parfois son papa peut revenir leur rendre visite lorsqu'il obtient une permission, mais cela devient de plus en plus rare. Alors il écrit des lettres depuis le front, pour donner de ses nouvelles. Comme Rosalie ne sait pas encore lire, c'est sa maman qui lui lit les lettres. Rosalie aimerait apprendre à lire pour savoir lire à son tour les lettres expédiées par son papa, mais elle est encore trop petite...
Je leur montre les images de Rosalie traversant le paysage gris de ce roman illustré, puis dans la classe avec les autres élèves et l'instituteur qui est très gentil.
« Très gentil comme Sandrine ? », demanda la petite Anna. Et je crois que la maîtresse d'école a un peu rougi en souriant.
Les enfants ont alors remarqué que l'instituteur était amputé d'un bras, un bras qu'il avait perdu à la guerre...
Elle est toute petite, Rosalie, avec son grand béret noir vissé sur sa chevelure rousse, mais elle a du caractère et elle est déterminée. Alors, même si elle n'a pas encore l'âge, Rosalie passe ses journées à l'école, dans la classe des grands. On croit qu'elle rêve et dessine sur son cahier en attendant le soir. Elle est très discrète au fond de la classe, presque invisible. Rosalie s'est même investi d'une mission très importante à accomplir, comme celles des véritables soldats. Elle est capitaine et elle a un plan.
« Quelle mission ? a alors demandé le petit Jean-Michel très intrigué.
- Pour l'instant c'est encore une mission secrète, ai-je répondu d'un air mystérieux.
- Allez, on veut savoir ! dit le petit Pat.
- Oh, qu'il est impatient celui-là. Il veut toujours tout savoir lui, fit la petite Chrystèle en levant les yeux au plafond.
Alors, j'ai poursuivi le récit jusqu'au bout de l'histoire. J'ai raconté le destin de cette Rosalie traversant le paysage, traversant les pages de ce roman de sa silhouette à la fois fragile et si déterminée, sa chevelure rousse donnant une touche de chaleur au décor si gris, si froid de l'hiver...
Le fait que ce soit Rosalie qui raconte son récit a peut-être rendu plus crédible encore cette histoire, plus touchante aussi. La voix de Rosalie s'est imposée d'elle-même à mon auditoire. On aurait entendu une mouche voler. Jamais je ne les avais vu aussi attentifs, aussi pris dans l'histoire. J'ai vu la petite Fanny qui s'essuyait discrètement les yeux avec son mouchoir. le petit Pat en faisait tout autant. D'autres yeux étaient rouges, embuées d'un halo d'émotion qui venait de traverser la classe... Même les yeux du caméléon du petit Paul portaient aussi cette émotion. Je n'osais pas croiser le regard de Sandrine...
Il est vrai que le récit est prenant, l'auteur, Timothée de Fombelle, a su installer avec force ce petite personnage très attachant, qu'on voudrait protéger, à toutes forces... Il évoque l'enfance, ses rêves, ses combats, sa capacité de résilience avec une grâce et une sensibilité qui nous touchent. Cette histoire poignante est par ailleurs illustrée avec force et délicatesse par les dessins d'Isabelle Arsenault.
C'est une histoire sobre, pudique, qui permet d'aborder la guerre avec les enfants sans image traumatisante. C'est la guerre vue à travers les yeux d'une petite fille, la guerre et l'attente, les désillusions, les mensonges, les chagrins, la tendresse, la solidarité...
Comment parler de la guerre aux enfants ? Aujourd'hui, il y a des guerres dans d'autres pays, pas forcément très loin. Les enfants voient ces images aux actualités télévisées, des images parfois violentes, sans décryptage... Sandrine a alors évoqué la petite Maryna en classe de CE1 qui est arrivée ici au printemps dernier avec sa maman. Elles habitaient l'Ukraine jusqu'à ce que le pays connaisse cette guerre atroce.
Le papa de Maryna est resté à Kharkiv pour protéger son pays des envahisseurs, comme tous les hommes de là-bas en âge de combattre.
Tous les élèves ont alors regardé machinalement la cour de récréation vide, car c'était là qu'ils avaient fait la connaissance la première fois de la petite Maryna qui ne parlait pas encore le français, un matin du mois de mars dernier.
Il est terrible d'imaginer ces enfants séparés de leurs papas. L'attente, l'angoisse. L'innocence de l'enfance gâchée par la guerre.
Je pense que les enfants avaient déjà plein de questions dans la tête, des questions à poser dès le lendemain sur la cour de récréation à la petite Maryna, qui déjà commençait à bien parler le français... Lui demander peut-être aussi si elle était investie d'une mission secrète ?
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