Plus rien à perdre

Mieux vaut être prudent. Je ne sais pas quelles informations cet enfoiré de poulet leur a données. Ils ont peut-être une copie complète du dossier. Je ne crois pas me souvenir que les flics aient pris des clichés de John, je ne vois d’ailleurs pas pourquoi ils l’auraient fait, il n’était pas suspect. Si je me plante et que ces connards connaissent son visage, mon pote vient de se jeter dans la gueule du loup par ma faute.

La soif de vengeance, c’est quelque chose que tout le monde a déjà éprouvé, mais de là à avoir le courage d’aller jusqu’à tuer… Mais pas de problème, je ferai tout ce que je peux pour t’aider.

Chaque chose en son temps, on ne liquide pas un flic sur un coup de tête, même si c’est un connard. S’il s’avère qu’il est mêlé aux meurtres de Lindsay et d’Emily, alors oui, son nom viendra s’ajouter sur ma liste.

On voit des choses plus qu’étranges parfois quand on observe les gens de loin et qu’eux ne se savent pas espionnés. John fait des recherches sur nos deux lascars à l’aide de son smartphone dernier cri pendant que nous parlons. Tout comme moi, il trouve des renseignements sur Bradshaw grâce aux réseaux sociaux qu’il affectionne. En revanche, pour le dernier de ces quatre enfoirés, nous n’avons pas assez d’infos pour trouver quoi que soit. Il nous faudrait au moins son nom.

C’est fascinant le subconscient humain. Comment mon cerveau peut-il associer ce souvenir de joie et de bonheur que nous avons vécu, avec le drame qui a mis fin à nos existences ? Rien ne va plus, je m’autopsychanalyse maintenant…

Les gens sourient, les parents retombent en enfance en côtoyant Mickey et les autres personnages de dessins animés que tout le monde connaît. Certains enfants sont vêtus des déguisements de leurs héros favoris, achetés dans l’une des très nombreuses boutiques présentes dans le parc. Emily, quant à elle, arbore fièrement le serre-tête aux grandes oreilles rondes et noires que nous lui avons offert.

C’est mathématique, plus je bois, plus je fume. Le problème étant que fumer me donne envie de boire… Une chaîne sans fin. J’ouvre une bière et contemple le tableau blanc sur son chevalet. Dans la colonne intitulée « Matt Bradshaw », j’ai noté qu’il a vingt et un ans, qu’il fait à peu près un mètre quatre-vingt-dix et qu’il doit peser soixante-quinze kilos à vue de nez.

Je me sens coupable et honteux d’avoir réagi de cette façon à l’époque. John n’était pas responsable de ce qui est arrivé. Il était une victime lui aussi. En véritable ami, il a répondu présent cette nuit et la moindre des choses serait d’être honnête avec lui et de ne rien lui cacher.

Dans une poubelle, j’aperçois un filtre à huile vide. J’ai d’abord l’idée de fabriquer un silencieux pour mon arme comme j’ai vu faire dans un film, puis y renonce. Trop long et ce n’est pas parce que cela fonctionne dans une fiction que cela va le faire dans la réalité.
N’est pas MacGyver qui veut.

Je ne suis pas du genre à raconter ma vie, surtout à un inconnu, pourtant, comme j’étais rond comme une queue de pelle, je lui avais confié ce soir-là une bonne partie des « problèmes » qui me poussaient à venir me pochtronner. De fil en aiguille, il m’avait également raconté son histoire. L’amertume et la tristesse se ressentaient dans sa voix rauque.