Diario de una bandera

L'homme qui a signe Comandante Franco est Francisco Franco. le militaire qui s'est leve contre la republique et a enterre la democratie en Espagne pour une quarantaine d'annees, dont les vingt premieres ont ete des annees de terreur. Il a tres peu ecrit, mais dans sa jeunesse il a publie un journal de campagne, ou il a consigne les faits d'armes de l'unite de la legion etrangere qu'il commandait, au Maroc, pendant la guerre du Rif. Est-ce que ce texte donne des indices sur sa personnalite, est-ce que sa lecture permet de predire ce qu'il va devenir? Ces questions ont ete pour moi l'excuse qui m'a poussee a lire le livre d'un dictateur. Un livre publie en 1922, et republie en 1976, apres la mort du dictateur.


En 1920 le jeune capitaine Franco se voit confier le commandement d'une unite (una bandera = un drapeau, comme on denommait ces unites) de la legion etrangere qui vient d'etre creee par le lieutenant-colonel Millan-Astray. Pour la plupart ce sont des volontaires venus de tous les continents mais il y a aussi des espagnols qui echappent ainsi a la prison et peut-etre meme a la potence. Franco commence par relater leur rassemblement, leur entrainement, et apres quelques mois leur plein engagement dans cette guerre de guerrilla qu'etait la guerre du Rif.
Operant au debut dans l'ouest de la cordillere du Rif, aux alentours de la ville de Chaouen, ils sont transferes a l'ete 1921 a Melilla, dans l'est, pour reprendre le territoire conquis par les troupes du leader rifain Abd el Krim lors d'une campagne qui avait aneanti toutes les positions espagnoles (ce que les espagnols nomment “le desastre d'Annual", ou avaient peri pres de 11.500 de leurs soldats). Et Franco couvre a partir de la chaque bataille, chaque escarmouche, chaque reprise d'un blockhaus ou d'un village, pendant de longs mois.


Evidemment Franco s'etend sur la bravoure de ses soldats. Mais il ne cache rien de leurs mefaits, qu'il ne denonce meme pas. Il laisse faire. Des qu'ils passent pres d'un village, ils s'adonnent au pillage, a la razzia. Certains essayent d'enlever des femmes: “Uno de los que mas se distinguen por sus arriesgadas salidas es el maltes, legionario en estado primitivo; […] el poder traer mora bonita y colorada para Comandante y ellos estar quietos, tirar mal y marchar moro!, dice con su hablar estilo indigena” = “Un de ceux qui se distinguent le plus par ses sorties risquees est le maltais, legionnaire a l'etat primitif; lui pouvoir amener maure jolie et rouge pour Commandant et eux rester figes, tirer mal et partir maure!, dit-il en son parler au style indigene”. Et quand ils ne les enlevent pas: “La vista se recrea con la presencia de moritas jovenes que, ante la aparicion de algun moro, apparentan huir como pajarillos asustados por la presencia del cristiano; algunos decididos las cortejan y los añosos olivos del bosque sagrado han sido muchas veces mudos testigos de la galanteria legionaria” = “la vue se rejouit de la presence de jeunes maures qui, quand apparait un de leurs hommes, font semblant de fuir comme des oisillons apeures par la presence du chretien; quelques decides leur font la cour et les oliviers centenaires du bois sacre ont ete de nombreuses fois temoins muets de la galanterie legionnaire”. Quelle jolie maniere d'articuler le mot viol!

Pour le plaisir ils mettent le feu a des maisons et Franco non seulement laisse faire mais des fois c'est lui qui ordonne l'incendie de villages entiers, comme punition: “La cabila de Beni-bu-Ifrur ha sido rodeada, y el dia 2 de diciembre la columna ha de regresar, recorriendola e imponiendo un justo castigo a los aduares. A nuestro paso, las columnas de humo se levantan de las pequeñas casas y la ola de fuego alcanza a los poblados de la montaña” = “ la tribu des Beni bu Ifrour a ete encerclee, et le 2 decembre, notre colonne, en revenant, l'a parcourue imposant une juste punition aux douars. A notre passage, les colonnes de fumee s'elevent des maisonnettes et la vague de feu atteint les villages de la montagne".


Pour Franco l'ennemi n'est pas humain, il le deshumanise et ne peut ressentir pour lui aucune pitie. En fait, dans son acharnement de victoire, il n'en a pas plus pour ses propres soldats. Charge de s'emparer d'une position de montagne, il note: le 10 Octobre sera glorieux dans l'histoire de la legion, nous avons eu 25 morts et 91 blesses. Dans une autre bataille il perd 90 hommes, le tiers de ses forces, et il note: La legion s'est encore une fois couverte se gloire!

La gloire est son maitre mot. Il en est assoiffe. La vie ne compte pour rien, elle doit etre sacrifiee a la victoire. Et tous les moyens sont bons pour vaincre: terroriser l'ennemi, detruire son habitat, frapper son entourage civil.


En fait on peut le voir: il est deja la, l'homme qui noiera dans le sang la revolte des mineurs des Asturies en 1934, qui declenchera une guerre fratricide en 1936, qui apres sa victoire en 1939 persecutera haineusement les anciens adversaires de son camp pendant des dizaines d'annees.

Dans Diario de una bandera le monstre est deja la. Petit encore, mais deja la. Qui ne sait pas faire la difference entre faire la guerre et commettre des crimes. Pire: qui croit surement que la plus sure facon de gagner une guerre c'est en commettant des crimes envers des civils. La terreur comme arme ultime. Effarant.


P.S. En fin de compte, je dois peut-etre voir un psy. Qu'est-ce qui m'a pris de lire un livre pareil?