Citations sur Bouquiner : Autobiobibliographie (96)
Qu’on me laisse mes yeux pour lire, mes mains pour tourner les pages et mes jambes pour courir les libraires. Et, par la même occasion, qu’on me laisse toute ma tête pour mesurer l’étendue de mon gâtisme.
« Oui, un livre emprunté est sacré. L’ouvrir semble déjà une profanation. » (p. 20
. . . le problème n’est plus de savoir si l’ami rendra le livre, mais s’il l’aimera. S’il l’aime, il y a de bonnes chances qu’il le garde. Mais s’il ne l’aime pas, est-ce réellement un ami ?
J’incite donc vivement les parents anxieux à se plonger dans Comme un roman de Pennac. Surtout à prohiber l’accès de leur bibliothèque à leurs lardons et à les houspiller de la manière la plus outrageante : « ça n’a pas encore de poil au zizi et ça voudrait lire hors programme ! »
Dans mon petit domaine privé, je m'efforçais aussi à l'angélisme. Même si un mortel ennui me prenait dès la première ligne, j'allais jusqu'au bout. Là aussi, j'ai gagné un peu d'audace. Si un livre n'arrive pas à me tenir après trente pages, je l'évacue. Parfois pour toujours; parfois pour un temps. Il végète alors auprès du lit, attendant des jours meilleurs, une autre saison, un état de grâce, des circonstances favorables, un intercesseur brillant.
J'ai pu lire n'importe quoi, à tout âge, en tout lieu, en de singulières circonstances, mais ni en diagonale ni n'importe comment. Je ne me suis affranchie de cette faiblesse que vers cinquante ans : j'étais assez grande pour avoir le droit de balancer un livre exécrable ou de quitter la salle avant la fin d'un navet.
J'aime, en page de garde, en haut, à droite, ces signes cabalistiques crayonnés par les libraires, ces petits secrets de gestion de stock, ces mystères de boutique. Mais je hais la féroce bande métallique antivol, preuve manifeste que, pour certains libraires, le client est d'abord un voleur potentiel, un bibliophage kleptomane, un ennemi, un malade.
Depuis l'enfance, mon premier réflexe est de plonger le nez au milieu du livre à demi ouvert. Volupté des manuels scolaires neufs. Leur papier glacé me rafraîchissait les joues tandis que leurs bouffées d'amande amère me faisaient chavirer. Fine odeur un peu poivrée de mes "Contes et Légendes du monde grec et barbare", au papier pelucheux comme une peau de pêche.
C'est plus souvent en écumant les poubelles qu'en traînant dans les brocantes ou chez les bouquinistes aux caissons trop bien classés qu'on tombe sur des livres inattendus. Le manuel d'électricité jouxte les "Confessions d'un enfant du siècle", "Poil de Carotte" se frotte au Code pénal et à la partition de "La Cenerentola".
Je sais bien que ma détestation des bibliothèques pue la morgue des nantis défendant leurs privilèges : élitistes dédaigneux du plaisir des autres, propriétaires préférant leur avoir étriqué aux splendeurs collectives, petites épouses, bourges, jalouses et mitonneuses qui crachent sur l'amour libre et les restaurants populaires. Pouah! Non, la bibliothèque n'est pas une maison close. C'est tout le contraire. L'accès est libre, les volumes ne se vendent pas. Ils se prêtent. Le principe est intelligent, démocratique, utile, généreux, commode, économique. Et pourtant j'y renonce.