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Citations sur Dostoievski, un écrivain dans son temps (14)

Netotchka Nezvanova : L’exploration de la personnalité humaine dans Netotchka Nezvanova conduisit Dostoïevski non seulement à inverser la relation entre le psychologique et le social mais aussi à affranchir totalement sa psychologie de toute forme de conditionnement social. Dostoïevski mit alors au premier plan le thème de la « sensualité sadomasochiste » comme source majeure de cruauté et d’oppression dans les relations humaines, et la lutte contre cette forme de « sensualité » devint le principal impératif moral et social. Même si la position sociale des personnages fixe un cadre et motive leurs actions, Dostoïevski ne s’intéresse plus aux conditions sociales extérieures et à leur reflet dans la conscience et le comportement des personnages (comme il le faisait avec Devouchkine* et Goliadkine**). Il s’intéresse surtout aux qualités personnelles que les personnages manifestent dans leur combat contre la tendance instinctive du moi, désireux de se venger de tous les traumatismes psycho-sociaux qu’il a subis. La capacité à dépasser la dialectique sadomasochiste de l’égoïsme blessé – le pouvoir de vaincre la haine et de la remplacer par l’amour – est maintenant devenue le centre idéal de l’univers moral et artistique de Dostoïevski.
P 115 – Dostoïevski, un écrivain dans son temps – Biographie de Joseph Frank
*Les pauvres gens
**Le double
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 1/7 ; préface intégrale de 1/7 à 7/7


Ce livre est une version abrégée des cinq volumes que j'ai consacré à la biographie de Dostoïevski. Pourquoi me suis-je lancé dans une telle entreprise ? Il m'a toujours semblé que les ouvrages critiques consacrés à Dostoïevski ignoraient, ou minimisaient, des aspects importants de son œuvre. La plupart privilégient son histoire personnelle, qui fut incontestablement extraordinaire. Aucun écrivain de son importance n'a eu une connaissance aussi approfondie de toutes les couches de la société russe. Dostoïevski, qui partagea pendant ses quatre années de bagne l'existence de criminels issus du peuple, fut invité à la fin de sa vie à dîner en compagnie des plus jeunes membres de la famille du tsar Alexandre II, pour que ceux-ci puissent tirer profit de sa conversation. On comprend qu'une existence aussi fascinante ait été considérée comme la clef permettant d'accéder à l'œuvre.
Pourtant, plus j'ai lu Dostoïevski, plus l'approche bibliographique traditionnelle m'a semblé insuffisante. Les débats intellectuels de son temps occupent en effet une place essentielle dans ses livres. Le comportement de personnages comme Raskolnikov dans Crimes et Châtiments ou Stavroguine et Kirilov dans Les Démons est incompréhensible sans une bonne connaissance des idées qui étaient alors en vogue en Russie.
La biographie individuelle ne doit pas être privilégiée au dépend de l'étude du contexte intellectuel. La vie privée de Dostoïevski a pour nous moins d'importance que les diverses idéologies qui dominèrent son époque. David Foster Wallace, le grand romancier et critique américain récemment disparu, qui fut un des lecteurs les plus attentifs de mes quatre premiers volumes, a remarqué : "Le James Joyce de Richard Ellmann, qui est en quelque sorte l'étalon servant à mesurer la plupart des biographies littéraires, va beaucoup moins loin que Frank dans l'étude précise de l'idéologie, de la politique ou de la théorie sociale".
P. 9 de la préface
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 2/7

Je n'ignore pas la vie privée de Dostoïevski, mais je l'aborde toujours en rapport avec d'autres aspects de son temps, qui lui confèrent une signification beaucoup plus générale. L'existence individuelle et les grands débats intellectuels d'une époque est un des traits qui font l'originalité de Dostoïevski.
Les remarques qui précèdent concernent surtout les livres sur Dostoïevski écrits en anglais, en français et en allemand. On ne saurait reprocher aux critiques et aux chercheurs russes de ne pas être intéressés à l'arrière-plan idéologique et philosophique des œuvres de Dostoïevski. Mes propres analyses doivent beaucoup à plusieurs générations de critiques russes. Comme Dimitri Merejkovski, Viatcheslav Ivanov et Leonid Grossman et à des philosophes comme Léon Chestov et Nicolaï Berdiaev. Mais après la révolution bolchevique, il devint très difficile pour les chercheurs russes de poursuivre les travaux de ces pionniers et d'étudier Dostoïevski de façon impartiale et objective. Les chefs-d'œuvre du romancier visaient précisément à saper les fondements idéologiques de cette révolution : il devint donc obligatoire de souligner leur faiblesse. Quant aux Russes de l'émigration, à quelques exceptions près, leurs travaux portèrent sur les idées morales et philosophiques de Dostoïevski plus que sur les textes eux-mêmes. Sans négliger ces tentatives d'interprétation, j'ai essayé de dépasser leurs limites, qu’elles soient le fait de contraintes idéologiques ou de préoccupations extra-littéraires.
Cependant, il ne suffit pas de replacer les écrits de Dostoïevski dans leur contexte idéologique. L'essentiel, en effet, n'est pas dans les disputes que opposent les personnages. Il est dans le fait que leurs idées constituent une part de leurs personnalités, à tel point qu'idées et personnages deviennent indissociables. Le génie de Dostoïevski réside dans sa capacité à inventer des situations dans lesquelles les idées dominent le comportement de ses personnages sans que celui-ci devienne allégorique. Il avait ce que j'appelle une "imagination eschatologique", c'est-à-dire une imagination qui permettait de transformer les idées en actes, et de les suivre jusqu'à leurs ultimes conséquences. En même temps, ces personnages réagissent à ces conséquences selon les normes morales et sociales dominantes dans leur milieu, et c'est la fusion de ces deux niveaux qui fait toute la richesse de ses romans.
P. 9-10 de la préface
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 3/7

Cette tendance innée de Dostoïevski à présenter les idées en actes fut notée par un de ses plus proches compagnons le philosophe Nicolaï Strakhov. "Une idée simple, parfois très commune et ordinaire, pouvait l'exalter subitement et se révéler à lui dans toute son importance. On pourrait dire qu'il éprouvait la pensée de façon exceptionnellement vivante. Ensuite il l'exprimait sous diverses formes, en lui donnant parfois une expression très aiguë, précise, mais sans l'expliquer de façon logique et sans développer son contenu." Cette tendance innée de Dostoïevski à "éprouver la pensée" fait son originalité ; c'est pourquoi il est tellement important d'établir un lien entre ses idées et l'histoire des idées de son temps.
Dostoïevski devint célèbre dans les années 1840, quand Alexandre Herzen salua son premier roman, Les Pauvres Gens, comme le plus grand exemple de création authentiquement socialiste dans la littérature russe. En réalité, tout ce que publia Dostoïevski au cours des années 1840 portait l'empreinte de son adhésion au socialisme utopique alors en vogue. Ces idées inspirées du christianisme, mais d'un christianisme repensé en fonction des problèmes de la société moderne. Même si le socialisme utopique ne prônait pas le recours à la violence, même si les œuvres de Dostoïevski expriment la nécessité de la sympathie et de la compassion, il appartint à un groupe clandestin - dont l'existence ne fut connue que bien après sa mort - qui avait pour objectif de déclencher une révolution contre le servage. Avant même que cette organisation clandestine pût passer à l'action, ses membres furent victimes de la répression qui frappa le cercle de Petrachevski, auquel ils appartenaient tous.
P. 10-11 de la préface
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 4/7

Les accusés furent victimes d'une mise en scène macabre, puisqu'ils subirent un simulacre d'exécution ; Dostoïevski fut condamné à une peine de travaux forcés en Sibérie. C'est alors que le christianisme "laïc" de Dostoïevski connu une métamorphose essentielle. Jusque-là, ce christianisme avait eu pour objectif l'amélioration de la vie terrestre ; cet objectif, sans disparaître totalement, fut relégué au second plan : Dostoïevski compris que le seul fondement possible de l'existence morale était l'espoir de la vie éternelle. L'expérience du bagne lui apprit aussi autre chose : que le besoin de la liberté, en particulier le sentiment de pouvoir exercer librement sa volonté, était un besoin fondamental de l'être humain. Comme l'écrivit Dostoïevski, les quatre années qu'il passa au camp modifièrent aussi ses convictions à un niveau plus terre à terre. Il prit conscience du profond attachement des russes, même des criminels les plus endurcis, aux traditions chrétiennes : à Pâques, pendant l'office, les forçats s'inclinaient en faisant teinter leurs chaînes quand le prêtre prononçait les mots : "Reçois-moi, Seigneur, même si je suis un voleur." Pour Dostoïevski, le lien unissant le peuple russe au christianisme était fondamental.
À son retour en Russie, après 10 ans d'exil en Sibérie, Dostoïevski jugea inacceptables les idées de la génération des années 1860, qui étaient apparues pendant son absence. Défendues à l'origine par Nicolaï Tchernychevski et Nicolaï Alexandrovitch Dobrolioubov, ces conceptions étaient un mélange spécifiquement russe entre l'athéisme de Ludwig Feuerbach, le matérialisme et le rationalisme des penseurs français du XVIIIe siècle et l'utilitarisme anglais de Jeremy Bentham. La nouvelle théorie des révolutionnaires russes était l' "égoïsme rationnel " de Tchernychevski. La première réponse de Dostoïevski à ce nouveau credo fut Le Sous-sol : on y voit le déterminisme généralisé de l'homme du sous-sol, conçu comme le nec plus ultra de la pensée scientifique entrer en conflit avec les scrupules moraux qui le tourmentent malgré lui.
P. 11-12 de la préface
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 5/7

Crime et châtiment fut une réponse aux idées d'un autre penseur radical russe, Dimitri Pissarev. Au sein de la multitude endormie, celui-ci distinguait quelques individus exceptionnels, comme Raskolnikov se croyaient autorisés à commettre des crimes pour le bien de l'humanité. Raskolnikov finit par comprendre que son véritable but était de voir s'il était capable de dépasser sa conscience de chrétien et son expérience se solde par un échec. Les Démons, qui reste le meilleur roman jamais consacré à une conspiration révolutionnaire, s'inspire de ce qu'on appelle "l'affaire Netchaïev", l'élimination par ses camarades d'un jeune étudiant appartenant à un groupe clandestin. Netchaïev, agitateur sans scrupule, animé d'une volonté de fer, justifie dans son Catéchisme d'un révolutionnaire tous les moyens permettant d'atteindre des objectifs considérés comme des progrès. À côté de tels raisonnements, Machiavel semble un enfant de chœur.
Dostoïevski ne se contenta pas de débattre des idées. Il voulut aussi créer une image qui servirait d'exemple à la nouvelle génération. Dans L'Idiot, il proposa un idéal de ce genre, opposé à l' "égoïsme rationnel", mais le prince Mychkine n'échappe pas à une fin désastreuse. Cet échec terrestre est évidemment inhérent au modèle christique : Dostoïevski, à cette époque, était arrivé à la conclusion qu' "aimer son prochain comme soi-même, selon le précepte du Christ, est impossible. La loi de la personnalité nous lie sur la terre, le moi fait obstacle". La "loi de la personnalité" ne pourra être vraiment dépassée que dans la vie future.
P.12 de la préface
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 6/7

Les années 1870 marquent une nouvelle étape dans l'œuvre de Dostoïevski. Certains radicaux comme N. K. Mikhaïlovski et Piotr Lavrov rompirent avec l'idée selon laquelle le "progrès", au sens occidental, était le seul avenir possible tout en restant fermement opposés au régime tsariste et en développant une critique du capitalisme s'inspirant de la dénonciation marxiste de l'accumulation primitive, qui transformait les paysans en prolétaires, ils commencèrent à chercher des voies originales qui permettraient aux classes laborieuses d'échapper à la paupérisation constatée en Europe. Avec l'émancipation des serfs, en 1861, la Russie se trouva dans une situation où elle risquait de suivre la voie déjà empruntée par les pays européens. Or, Dostoïevski était allé en Europe en 1862 : ce qu'il y avait vu était pour lui le triomphe du dieu Baal.
Les révolutionnaires commencèrent alors à porter un autre regard sur la paysannerie russe, qui les rapprocha singulièrement de Dostoïevski. Ce changement de perspective est certainement une des raisons qui explique que son roman suivant, L'Adolescent, a été publié dans une revue radicale, Les Annales de la patrie. Ce roman propose le portrait d'un intellectuel pris entre un besoin de foi insatisfait et l'émotion que suscitent en lui les manifestations de cette foi parmi les paysans. On y trouve aussi le premier (et le seul) personnage important de paysan des romans de Dostoïevski ; c'est un paysan qui représente l'ancrage moral dans une intrigue sentimentale très complexe.
Les radicaux avaient donc adopté les valeurs morales et sociales des paysans russes, inséparables de la foi orthodoxe. Mais ils continuaient à rejeter cette foi elle-même et restaient athées. Cette contradiction est au cœur du dernier roman de Dostoïevski, Les Frères Karamazov, qui prend à bras-le-corps la grande question de la théodicée. Comment un Dieu d'amour a-t-il pu créer un monde dans lequel le mal existe ? Les révolutionnaires des années 1860 avaient simplement niés l'existence de Dieu, mais ceux des années 1870, comme l'écrit Dostoïevski dans une lettre, rejetaient non pas Dieu "mais le sens de Sa création."
P. 12-13
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 7
/7

Parmi les grands écrivains modernes, Dostoïevski est celui qui a exposé avec le plus de force l'intellectuel dilemme chrétien - avec d'un côté les violentes attaques lancées contre la supposée bonté divine par Ivan Karamazov et sa "Légende du Grand Inquisiteur", de l'autre les enseignements du père Zossime. Ces pages font de Dostoïevski l'égal des tragiques grecs et élisabéthains, de Dante, de Milton et de Shakespeare. Rares sont les romanciers qui se sont élevés à de telles altitudes.
La puissance des écrits de Dostoïevski, sa manière de poser les plus graves questions auxquelles était confrontée la société russe, l'ont placé au-dessus des querelles de son temps qui, un mois seulement après sa mort en 1881, aboutir à l'assassinat du tzar Alexandre II. À la fin de sa vie Dostoïevski lu souvent en public un poème de Pouchkine, Le Prophète. Ce qui eurent l'occasion de l'entendre, trouvaient une consolation dans ses paroles prêchant la réconciliation universelle au nom du Christ : pour eux, le prophète, c'était lui, Dostoïevski. Le cortège de plus d'un kilomètre qui accompagna sa dépouille rassembla des organisations et des groupes qui défendaient toutes sortes d'orientations philosophiques et politiques. Tous voulurent rendre hommage à l'écrivain qui avait exploré les problèmes qui préoccupaient les Russes cultivés de son temps, et avaient su donner une dimension universelle au débat qui agitait leur pays.
Un des rêves de Dostoïevski était d'unifier la culture russe ; il n'atteignit pas cet objectif de son vivant, on peut dire qu'il y parvint après sa mort. Le respect dont ses romans les plus importants sont l'objet dans le monde entier a succédé à l'estime que lui témoignèrent tous les russes au moment de sa mort.
P. 13 de la préface
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Contexte : article écrit par le critique littéraire Annenkov.

Son article intitulé "le faible en temps que personnage littéraire " n'était pas une discussion de la thèse de Tchernychevski ; Annenkov se demandait plutôt pourquoi l'homme faible était devenu un personnage tellement important dans la littérature russe. Les personnages considérés comme solides (tselny), écrit-il - ceux qui agissent instinctivement et spontanément - semblent toujours donner libre cours aux pires aspects et aux tendances les plus égoïstes de la nature humaine. Le faible est ce qu'il est parce qu'il est écrasé par le fardeau du savoir et de la civilisation ; il est déchiré moralement par la difficulté de mener une vie à la hauteur de ces valeurs. "L'instruction a fait naître en lui la capacité de comprendre rapidement la souffrance sous tous ses aspects, et de vivre en lui-même l'infortune et le malheur des autres. De là son rôle en tant que représentant de ceux qui n'ont rien, de ceux qui sont offensés injustement, de ceux qui sont écrasés ; cela exige une intuition lucide et humaine. "
On peut supposer que Dostoïevski suivi ce débat, omniprésent dans les revues littéraires de l'époque, d'autant plus qu'il était directement concerné. N'avait-il pas dans L'Hôtesse*, représenté la relation entre la force et la faiblesse ? N'avait-il pas donné à cette relation une portée générale pour toute la littérature russe ? Les faibles de Dostoïevski peuvent être considérés comme une version plébéienne du même type littéraire, et leur impuissance intérieure illustre le même dilemme. Il se peut que ce soit l'article d'Annenkov qui ait aidé Dostoïevski à comprendre le sens de ses écrits de jeunesse. Un an plus tard, en tout cas, il souligne l'importance du Double en des termes qui indiquent une prise de conscience de ses implications sociales et culturelles. Un des projets qu'il caressait pour gagner de l'argent était de remanier ce bref roman pour le rééditer. "Pourquoi devrais-je laisser perdre une idée magnifique, une immense figure, du point de vue social, que j'ai été le premier à découvrir et dont je fus l'annonciateur ?" A l'évidence, Dostoïevski se considérait comme le créateur d'un type (le faible et indécis Goliadkine) dont l'importance dans la culture russe venait seulement d'être apprécié à sa juste valeur
P. 247-248

* La Logeuse
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Contexte : Années de bagne.

Le noyau du Dostoïevski de la maturité est déjà contenu dans les pages apparemment objectives et neutre des Souvenirs de la maison des morts, et c’est en pensant à cette œuvre qu’on peut comprendre une des pages les plus discutées qu’ait jamais écrites Dostoïevski Il s’agit d’un passage de la lettre touchante et sincère qu’il adressa à madame Fonvizina peu après sa libération, qui nous donne un aperçu de la relation tourmentée entretenue par Dostoïevski avec la foi.
- J’ai entendu dire par beaucoup que vous étiez très religieuse, N[atalia] D[mitrievna]. Je vous dirai, non parce que vous êtes religieuse mais parce que j’ai moi-même vécu et ressenti cela, qu’en de tels instants l’on a soif de foi, comme « l’herbe desséchée », et qu’on la trouve finalement, pour la simple raison que dans l’épreuve apparaît la vérité. De moi je vous dirai que je suis enfant de mon temps, enfant de l’incroyance et du doute jusqu’à ‘à présent et même (je le sais) jusqu’au tombeau. Quels terribles tourments m’a valus et me vaut encore aujourd’hui cette soif de croire, d’autant plus forte en mon âme que j’ai plus d’arguments à lui opposer. Et pourtant, Dieu m’envoie parfois des instants de paix absolue ; dans ces instants-là, j’aime et m’estime aimé des autres, et c’est dans ces instants-là que j’ai forgé en moi un credo ou tout m’apparaît limpide et sacré. Ce credo est fort simple, le voici : croire qu’il n’est rien de plus beau, de plus profond, de plus sympathique, de plus raisonnable, de plus viril et de plus parfait que le Christ, et que non seulement il n’est rien de tel, mais je me dis avec un amour plein de zèle qu’il ne saurait rien y avoir de tel. Bien plus, si quelqu’un me prouvait que le Christ est hors de la vérité, et que la vérité fût réellement hors du Christ, je voudrais plutôt rester avec le Christ qu’avec la vérité*.

*Lettre fin janvier-20 février 1854. Correspondance T

P. 215-216
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