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Jean-Pierre Ricard (Traducteur)
EAN : 978B084XWMYSC
1052 pages
Editions des Syrtes (21/02/2019)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Dostoïevski, un écrivain dans son temps est un modèle de biographie littéraire. Parue initialement en cinq volumes, dans les années 1970, elle a été condensée par l’auteur en 2010, avec une préface inédite.
Joseph Frank aborde la biographie du grand écrivain russe dans une ample vision englobant littérature et temps historique : il entreprend une « reconstruction massive » de l’époque, en y insérant l’œuvre de Dostoïevski afin de mieux l’éclairer. Il s’agit p... >Voir plus
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Netotchka Nezvanova : L’exploration de la personnalité humaine dans Netotchka Nezvanova conduisit Dostoïevski non seulement à inverser la relation entre le psychologique et le social mais aussi à affranchir totalement sa psychologie de toute forme de conditionnement social. Dostoïevski mit alors au premier plan le thème de la « sensualité sadomasochiste » comme source majeure de cruauté et d’oppression dans les relations humaines, et la lutte contre cette forme de « sensualité » devint le principal impératif moral et social. Même si la position sociale des personnages fixe un cadre et motive leurs actions, Dostoïevski ne s’intéresse plus aux conditions sociales extérieures et à leur reflet dans la conscience et le comportement des personnages (comme il le faisait avec Devouchkine* et Goliadkine**). Il s’intéresse surtout aux qualités personnelles que les personnages manifestent dans leur combat contre la tendance instinctive du moi, désireux de se venger de tous les traumatismes psycho-sociaux qu’il a subis. La capacité à dépasser la dialectique sadomasochiste de l’égoïsme blessé – le pouvoir de vaincre la haine et de la remplacer par l’amour – est maintenant devenue le centre idéal de l’univers moral et artistique de Dostoïevski.
P 115 – Dostoïevski, un écrivain dans son temps – Biographie de Joseph Frank
*Les pauvres gens
**Le double
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 2/7

Je n'ignore pas la vie privée de Dostoïevski, mais je l'aborde toujours en rapport avec d'autres aspects de son temps, qui lui confèrent une signification beaucoup plus générale. L'existence individuelle et les grands débats intellectuels d'une époque est un des traits qui font l'originalité de Dostoïevski.
Les remarques qui précèdent concernent surtout les livres sur Dostoïevski écrits en anglais, en français et en allemand. On ne saurait reprocher aux critiques et aux chercheurs russes de ne pas être intéressés à l'arrière-plan idéologique et philosophique des œuvres de Dostoïevski. Mes propres analyses doivent beaucoup à plusieurs générations de critiques russes. Comme Dimitri Merejkovski, Viatcheslav Ivanov et Leonid Grossman et à des philosophes comme Léon Chestov et Nicolaï Berdiaev. Mais après la révolution bolchevique, il devint très difficile pour les chercheurs russes de poursuivre les travaux de ces pionniers et d'étudier Dostoïevski de façon impartiale et objective. Les chefs-d'œuvre du romancier visaient précisément à saper les fondements idéologiques de cette révolution : il devint donc obligatoire de souligner leur faiblesse. Quant aux Russes de l'émigration, à quelques exceptions près, leurs travaux portèrent sur les idées morales et philosophiques de Dostoïevski plus que sur les textes eux-mêmes. Sans négliger ces tentatives d'interprétation, j'ai essayé de dépasser leurs limites, qu’elles soient le fait de contraintes idéologiques ou de préoccupations extra-littéraires.
Cependant, il ne suffit pas de replacer les écrits de Dostoïevski dans leur contexte idéologique. L'essentiel, en effet, n'est pas dans les disputes que opposent les personnages. Il est dans le fait que leurs idées constituent une part de leurs personnalités, à tel point qu'idées et personnages deviennent indissociables. Le génie de Dostoïevski réside dans sa capacité à inventer des situations dans lesquelles les idées dominent le comportement de ses personnages sans que celui-ci devienne allégorique. Il avait ce que j'appelle une "imagination eschatologique", c'est-à-dire une imagination qui permettait de transformer les idées en actes, et de les suivre jusqu'à leurs ultimes conséquences. En même temps, ces personnages réagissent à ces conséquences selon les normes morales et sociales dominantes dans leur milieu, et c'est la fusion de ces deux niveaux qui fait toute la richesse de ses romans.
P. 9-10 de la préface
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Contexte : article écrit par le critique littéraire Annenkov.

Son article intitulé "le faible en temps que personnage littéraire " n'était pas une discussion de la thèse de Tchernychevski ; Annenkov se demandait plutôt pourquoi l'homme faible était devenu un personnage tellement important dans la littérature russe. Les personnages considérés comme solides (tselny), écrit-il - ceux qui agissent instinctivement et spontanément - semblent toujours donner libre cours aux pires aspects et aux tendances les plus égoïstes de la nature humaine. Le faible est ce qu'il est parce qu'il est écrasé par le fardeau du savoir et de la civilisation ; il est déchiré moralement par la difficulté de mener une vie à la hauteur de ces valeurs. "L'instruction a fait naître en lui la capacité de comprendre rapidement la souffrance sous tous ses aspects, et de vivre en lui-même l'infortune et le malheur des autres. De là son rôle en tant que représentant de ceux qui n'ont rien, de ceux qui sont offensés injustement, de ceux qui sont écrasés ; cela exige une intuition lucide et humaine. "
On peut supposer que Dostoïevski suivi ce débat, omniprésent dans les revues littéraires de l'époque, d'autant plus qu'il était directement concerné. N'avait-il pas dans L'Hôtesse*, représenté la relation entre la force et la faiblesse ? N'avait-il pas donné à cette relation une portée générale pour toute la littérature russe ? Les faibles de Dostoïevski peuvent être considérés comme une version plébéienne du même type littéraire, et leur impuissance intérieure illustre le même dilemme. Il se peut que ce soit l'article d'Annenkov qui ait aidé Dostoïevski à comprendre le sens de ses écrits de jeunesse. Un an plus tard, en tout cas, il souligne l'importance du Double en des termes qui indiquent une prise de conscience de ses implications sociales et culturelles. Un des projets qu'il caressait pour gagner de l'argent était de remanier ce bref roman pour le rééditer. "Pourquoi devrais-je laisser perdre une idée magnifique, une immense figure, du point de vue social, que j'ai été le premier à découvrir et dont je fus l'annonciateur ?" A l'évidence, Dostoïevski se considérait comme le créateur d'un type (le faible et indécis Goliadkine) dont l'importance dans la culture russe venait seulement d'être apprécié à sa juste valeur
P. 247-248

* La Logeuse
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 6/7

Les années 1870 marquent une nouvelle étape dans l'œuvre de Dostoïevski. Certains radicaux comme N. K. Mikhaïlovski et Piotr Lavrov rompirent avec l'idée selon laquelle le "progrès", au sens occidental, était le seul avenir possible tout en restant fermement opposés au régime tsariste et en développant une critique du capitalisme s'inspirant de la dénonciation marxiste de l'accumulation primitive, qui transformait les paysans en prolétaires, ils commencèrent à chercher des voies originales qui permettraient aux classes laborieuses d'échapper à la paupérisation constatée en Europe. Avec l'émancipation des serfs, en 1861, la Russie se trouva dans une situation où elle risquait de suivre la voie déjà empruntée par les pays européens. Or, Dostoïevski était allé en Europe en 1862 : ce qu'il y avait vu était pour lui le triomphe du dieu Baal.
Les révolutionnaires commencèrent alors à porter un autre regard sur la paysannerie russe, qui les rapprocha singulièrement de Dostoïevski. Ce changement de perspective est certainement une des raisons qui explique que son roman suivant, L'Adolescent, a été publié dans une revue radicale, Les Annales de la patrie. Ce roman propose le portrait d'un intellectuel pris entre un besoin de foi insatisfait et l'émotion que suscitent en lui les manifestations de cette foi parmi les paysans. On y trouve aussi le premier (et le seul) personnage important de paysan des romans de Dostoïevski ; c'est un paysan qui représente l'ancrage moral dans une intrigue sentimentale très complexe.
Les radicaux avaient donc adopté les valeurs morales et sociales des paysans russes, inséparables de la foi orthodoxe. Mais ils continuaient à rejeter cette foi elle-même et restaient athées. Cette contradiction est au cœur du dernier roman de Dostoïevski, Les Frères Karamazov, qui prend à bras-le-corps la grande question de la théodicée. Comment un Dieu d'amour a-t-il pu créer un monde dans lequel le mal existe ? Les révolutionnaires des années 1860 avaient simplement niés l'existence de Dieu, mais ceux des années 1870, comme l'écrit Dostoïevski dans une lettre, rejetaient non pas Dieu "mais le sens de Sa création."
P. 12-13
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Préface de l'ouvrage de Joseph Frank, "Dostoïevski, un écrivain dans son temps" 4/7

Les accusés furent victimes d'une mise en scène macabre, puisqu'ils subirent un simulacre d'exécution ; Dostoïevski fut condamné à une peine de travaux forcés en Sibérie. C'est alors que le christianisme "laïc" de Dostoïevski connu une métamorphose essentielle. Jusque-là, ce christianisme avait eu pour objectif l'amélioration de la vie terrestre ; cet objectif, sans disparaître totalement, fut relégué au second plan : Dostoïevski compris que le seul fondement possible de l'existence morale était l'espoir de la vie éternelle. L'expérience du bagne lui apprit aussi autre chose : que le besoin de la liberté, en particulier le sentiment de pouvoir exercer librement sa volonté, était un besoin fondamental de l'être humain. Comme l'écrivit Dostoïevski, les quatre années qu'il passa au camp modifièrent aussi ses convictions à un niveau plus terre à terre. Il prit conscience du profond attachement des russes, même des criminels les plus endurcis, aux traditions chrétiennes : à Pâques, pendant l'office, les forçats s'inclinaient en faisant teinter leurs chaînes quand le prêtre prononçait les mots : "Reçois-moi, Seigneur, même si je suis un voleur." Pour Dostoïevski, le lien unissant le peuple russe au christianisme était fondamental.
À son retour en Russie, après 10 ans d'exil en Sibérie, Dostoïevski jugea inacceptables les idées de la génération des années 1860, qui étaient apparues pendant son absence. Défendues à l'origine par Nicolaï Tchernychevski et Nicolaï Alexandrovitch Dobrolioubov, ces conceptions étaient un mélange spécifiquement russe entre l'athéisme de Ludwig Feuerbach, le matérialisme et le rationalisme des penseurs français du XVIIIe siècle et l'utilitarisme anglais de Jeremy Bentham. La nouvelle théorie des révolutionnaires russes était l' "égoïsme rationnel " de Tchernychevski. La première réponse de Dostoïevski à ce nouveau credo fut Le Sous-sol : on y voit le déterminisme généralisé de l'homme du sous-sol, conçu comme le nec plus ultra de la pensée scientifique entrer en conflit avec les scrupules moraux qui le tourmentent malgré lui.
P. 11-12 de la préface
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