Quand on évoque des romans classiques, surtout du 19è siècle, j'ai souvent cette image de littérature rigide, verbeuse, pompeuse et descriptive, qui finit par lasser au bout de quelques pages. Forcé à lire certains romans dans mes années scolaires, je fus dégouté de plusieurs auteurs que je redécouvre petit à petit, sans pression et avec plus de bagages qui me permettent de bien mieux appréhender les concepts de cette période.
C'est donc ainsi que j'en suis venu à lire "
Dominique", roman semble-t-il célèbre et célébré dans la littérature française, dont l'exemplaire trainait dans ma PAL depuis de longues années. Bien vite, malgré la tournure vieillotte de certaines phrases et des considérations parfois dépassées par l'âge de cet ouvrage, j'ai pris plaisir à ma lecture et progressivement je me suis laissé entrainer par le récit.
C'est un roman d'amour avant tout, certes, mais j'ai trouvé que le roman parlait aussi d'autres choses : la jeunesse dilettante qui ne sait ce qu'elle veut et espère de la vie, l'opposition entre la campagne Normande et les grandes villes, spécialement Paris, présentée comme le lieu incontournable du monde mais dans laquelle l'humain se perd. J'ai surtout, de part mon parcours personnel, été sensible à cette dernière thématique, que j'ai trouvé assez juste dans le récit. On ressent le déracinement dans le personnage principal, le manque de cette campagne qu'il connait si bien et dans laquelle rien ne semble étranger. Mais où tout est aussi sincère et brut, sans camouflage et artifice. J'ai trouvé que cette volonté marquée est bien retranscrit,
Dominique ne restant finalement à Paris que pour voir Madeleine, s'en retirant dès lors que leur histoire est définitivement terminée. On ressent une certaine douceur envers un monde de campagne où il peut vivre, solitaire mais plus apaisé.
Et cela se combine très bien avec une autre thématique : celle du but de notre vie. Ici à travers
Dominique qui cherche à écrire un livre, aussi bien qu'il le puisse, pour finir par accepter de n'être qu'un écrivain ayant eu un petit succès qui sera vite oublié, accepte de disparaitre dans le cours du temps et se permets de vivre sans gloire, loin de tout, oublié, car c'est là le destin de la majorité des humains. Cette thématique assez peu développée dans le récit par ailleurs, est assez nouvelle pour des romans de ce siècle où l'on côtoie bien plus souvent des personnages souhaitant une forme d'immortalité dans la pensée de leurs contemporains. Ici, le personnage essaye, tente, puis renonce en comprenant qu'il lui sera impossible de faire parti de plus grands, lui qui ne peut compter sur son unique talent. Cette audace d'écriture, cette lucidité du personnage est brillante. Elle se combine avec son refus d'une capitale, d'un monde de faux-semblants et bruyant, donnant un personnage plus effacé, plus timide ou réservé, qui accepte de faire partie de la masse et de mourir sans gloire et sans posthume. Une vie banale, une mort banale, et un amour ardent qui est ... banal aussi. Par le récit, on construit un personnage qui se veut extraordinaire par la faute des autres et s'accepte finalement comme ce qu'il a toujours voulu être : rien d'important.
Ce message est d'une éclatante modernité, en décalage complet avec tant d'oeuvres qui placent leur héros en singularité, sur un piédestal, au-dessus du nombre ! Ici, c'est la cruelle réalité de nos vies qui réapparait, et les tourments de l'amour me semblent presque devenir une métaphore du cheminement intérieur de ce personnage : il veut devenir quelqu'un, s'accroche à cette idée lorsqu'il la formule, tente de le devenir par plusieurs manières, finit par renoncer et repart vivre heureux (peut-être). Une brillante réalisation, qui, s'il n'est pas le récit d'amour d'une époque, est une bonne lecture dont les sujets m'ont parlés. Une bien belle réalisation, que je comprends mieux après lecture comme une oeuvre a plus forte portée que je ne le pensais. C'est du très bon, et je recommande, pour peu que vous puissiez passer le récit un peu daté dans sa prose.