Le secret !… mais c'est la condition même de l'existence du chef du personnel. Aussi, fait-il de la discrétion à outrance. On l'a quelquefois entendu parler, jamais répondre. Il fuit les mots précis. Oui et non sont rayés de son vocabulaire. Autant vaudrait interroger la sibylle de Cumes. (p.22)
Le Français, qui est fou d'égalité, est bien aise d'avoir quelqu'un à saluer avec déférence, à la condition d'avoir quelqu'un à regarder avec mépris.
Le chef qui fait tout :
Arrive de bonne heure, veille tard, et emporte du travail chez lui.
Ne laisse pas écrire une ligne même à son sous-chef.
Ne supporte pas qu'un de ses employés travaille, et s'il lui en vient un qui soit laborieux, il lui cherche des querelles pour lui faire quitter le bureau.
Cet homme, qui a la manie du travail, se plaît à dire que tous ceux qui l'entourent sont des idiots ; il a si peu confiance en eux qu'il fait tout, absolument tout par lui-même. Il rédige, copie et recopie lui-même, fait les projets, les minutes et les expéditions.
Ah ! la poussière ! comme la cendre du Vésuve qui a enseveli Pompéi, elle couvre de son linceul morne cette nécropole bureaucratique, et l'araignée file le crêpe de ce deuil.
Le chef qui ne fait rien :
Paraît au bureau tous les deux ou trois jours, et c'est vers deux heures qu'il y arrive.
Il confère alors dix minutes avec son sous-chef, qui est un homme capable.
Ensuite, il lit son journal, fait sa correspondance particulière, et donne quelques signatures. Ces signatures à donner l'ennuient beaucoup.
Le bureau du chef qui ne fait rien marche admirablement. Ses employés l'aiment, car ils n'ont pas affaire à lui. Son sous-chef encourage et exploite la nonchalance de son supérieur au profit de son ambition.
On dit dans l'administration que le chef qui ne fait rien a de grandes capacités.
Au ministère de l'Equilibre national, le déjeuner est l'occupation la plus sérieuse de la journée.
Autrefois on accordait une heure aux employés pour déjeuner au dehors. Mais le ministre ayant reconnu l'abus de cette tolérance, décida qu'ils prendraient désormais leur repas dans les bureaux. Aujourd'hui, grâce à cette mesure efficace, le déjeuner n'absorbe pas beaucoup plus du tiers des six heures réglementaires.