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Critique de CduNord


La question, quand on commence un nouveau Robert Galbraith, c'est : alors, Strike et Robin vont-ils enfin sauter le pas ? Ce n'est pas encore dans celui-là que les impatients seront satisfaits, on s'en doute et on ne dévoile rien : le plaisir qu'on a à les suivre repose beaucoup sur ce ressort personnel, entre Cormoran Strike, vétéran d'Afghanistan qui a monté son agence de détectives à Londres, et Robin Ellacot, passée en quatre ans de secrétaire intérimaire à associée. Deux archétypes: le mâle renfrogné mais déterminé, et la jeune femme maternante qui croule parfois sous la charge mentale. Ils évoluent quand même pas mal dans ce tome cinq, vis-à-vis, citons l'auteur, "des sentiments qu'ils n'osent pas s'avouer à eux-mêmes".
Encore une fois, leurs histoires familiales occupent une bonne part de l'histoire. Sang trouble, le dernier pavé de Robert Galbraith (l'alias de J K Rowling) n'en pâtit pas, l'enquête criminelle étant extrêmement riche aussi. Elle se déroule sur plus d'un an, ce qui est rare dans la production polar, et laisse donc la part belle à de nombreux développements, revirements, coups de chance et... piétinements. Car ici les impasses inhérentes à toute enquête ne nous sont pas cachées et sont même plutôt bien exploitées.
Revenons à leurs histoires personnelles. Strike doit céder un peu les rênes de l'agence à Robin, car il doit gérer la fin de vie de sa tante Joan, celle qui l'a élevé. Pas le meilleur moment donc pour que la fantasque Charlotte, son ex, lui fasse le coup du chantage au suicide et que sa fratrie éparpillée lui impose une grande réconciliation avec son père rockeur célèbre qui l'a toujours ignoré. Robin doit régler de son côté son divorce, enfin, une phase difficile quand elle croise dans sa ville natale son ex-conjoint et son ancienne meilleure amie, celle qui l'a trahie (mariage, bébé, autant de nouveaux coups de poignards symboliques). Elle est confrontée aussi à ses souvenirs traumatiques, ceux du viol qu'elle a subi étudiante, ceux de l'agression au couteau lors d'une précédente enquête. D'un point de vue émotionnel, les personnages principaux n'ont jamais été aussi éprouvés que dans cette cinquième aventure. Et dire qu'ils n'ont pas encore été réellement confrontés à leurs crises respectives de la quarantaine et de la trentaine, pourtant, ils y pensent.
L'arrivée dans l'agence de nouveau collaborateurs enrichit également l'histoire: Pat, la secrétaire revêche mais au grand coeur, au fond. Et Morris, caricature du gros lourdaud qui n'a pas compris que l'ère Metoo était arrivée. Un nouveau personnage fera son apparition dans le prochain, elle est à peine recrutée, une femme flic nommée Michelle. Rivale ou partenaire pour Robin ? Bien sûr l'auteur a du métier et sait susciter l'impatience chez le lecteur. Soulignons aussi l'apport comique des autres filatures menées par l'agence Strike (le harceleur aux cartes postales, le paraphile, le conjoint déçu par la fidélité de sa compagne!), qui sont autant de "pastilles" récréatives dans une histoire, redisons le, lourde émotionnellement. Aussi une façon de suivre la "vraie vie" feuilletonnée d'une agence de détectives, qui ne travaille jamais sur une seule enquête. Savoureux comme une série britannique au long cours.
Pour l'enquête principale maintenant. L'agence est mandatée par Anna, qui veut savoir pourquoi sa mère, le Docteur Margot Bomborough, a disparu il y a quarante ans. A-t-elle été la victime de Dennis Creed, tueur en série manipulateur? A l'époque, la première enquête avait été menée par un policier fragile psychologiquement, obsédé par le satanisme et les signes cabalistiques, et qui basait ses interrogatoires sur l'astrologie et le tarot. Six mois à laisser prospérer sa folie, le temps de faire des dégâts. Ses carnets d'enquêteur seront une source pour Strike et Robin, autant qu'un piège. Et une façon de donner des changements de rythme au récit: des passages du carnet sont reproduits (dessins compris), comme ceux d'un (mauvais) livre écrit par un opportuniste, des articles, etc. La forme ici est aussi riche que le fond.
En tout cas, pas simple quarante ans après (c'est à dire ici en 2014), d'investiguer sur une histoire aussi ancienne, en retrouver les protagonistes et les témoins. Sang trouble prend alors souvent des faux airs de la série Cold Case, avec des témoins qui longuement racontent leur version. Et peut-être, avec les décennies, peuvent libérer leur parole, ou alors réécrire l'histoire ! Anciens collègues (le docteur indien, les infirmières), patients (qu'il faut retrouver parfois très loin), famille (le cousine-nurse qui finit par épouser le "veuf")... Et chaque témoin a l'air de les égarer encore un peu plus ! Soulignons la variété de ces personnages secondaires et la richesse de chacune des mises en scène. Les manies relevées, les décors bien brossés, les entretiens parfois surréalistes autour d'un chocolat chaud et d'assiettes de biscuits (qu'est-ce qu'on prend comme collations dans ce métier de détective !). Un sens du détail en tout cas qui est un bonheur pour un lecteur qui se prend au jeu de l'enquête. Un régal, aussi, ces moments de bravoure autour du sexto ou du dîner raté chez le logeur de Robin. Ou ces scènes de consumérisme échevelé dans les grands magasins londoniens.
Car on trouve tout cela dans les livres de Robert Galbraith, au-delà de la simple enquête autour d'un crime, d'un suicide ou d'une disparition. Une comédie de moeurs autant qu'une galerie de portraits. Un état des lieux de la société britannique, attachante autant qu'usante dans son conformisme poli et son respect des traditions. Rythmée par les contraintes du calendrier (et sur plus d'un an d'enquête on a droit à tout: Noël, la Saint-Valentin, Pâques... et tous les anniversaires) et empesée par sa courtoisie compassée. Les efforts vains et maladroits de Cormoran Strike pour tenter de s'y conformer n'en sont que plus touchants et finalement son attitude rebelle, plus que rafraichissante.
Jusqu'à présent, le meilleur Robert Galbraith. le plus foisonnant, celui qui donne encore plus envie de lire le suivant.
Merci à NetGalley.
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