Extrait du livre audio "Sang trouble" de Robert Galbraith lu par Philippe Résimont. Parution numérique le 7 mars et CD le 13 avril 2022.
https://www.audiolib.fr/livre/sang-trouble-9791035406424/
Le détective était accoutumé à jouer les archéologues parmi des ruines de souvenirs traumatiques. Il avait appris à se montrer autoritaire avec les brutes, rassurant avec les peureux, prudent avec les dangereux et retors avec les fourbes[...]
Les morts ne pouvaient parler que par la bouche de ceux qu’ils laissaient derrière eux, et par les signes qu’ils avaient semés sur leur passage.
[...] Vous êtes comme tout le monde, Strike : vous gueulez contre Big Brother quand vous avez dit à madame que vous aviez une réunion alors que vous passez la soirée dans une boîte de strip, mais vous voulez une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre quand il y a des cambriolages dans votre quartier. On ne peut pas tout avoir.
— Je n’imagine pas une femme capable de commettre de telles atrocités, rétorqua Robin en regardant le portable de Strike, posé sur le bureau.
— C’est que vous ne connaissez pas l’histoire de cette Australienne qui a écorché son amant, lui a coupé la tête et les fesses et les a fait cuire en ragoût. Elle a poussé le vice jusqu’à servir le plat aux enfants de sa victime.
— Vous plaisantez ?
— Pas du tout. Vous n’avez qu’à regarder sur Internet. Quand les femmes s’y mettent, elles n’y vont pas de main morte.
Pour peu que vous fassiez correctement votre boulot, on ne vous interrogeait ni sur votre passé ni sur vos parents.
Strike s’était toujours demandé pourquoi le public avait tendance à considérer les gens célèbres comme des saints, alors même que les journaux les éreintaient, les traquaient, les traînaient dans la boue. Peu importait le nombre de stars convaincues de viol ou de meurtre, la croyance populaire persistait : Non, pas lui. Il n’aurait jamais fait ça. Il est célèbre.
« Je croyais que tu n’aimais pas les petites femmes.
— Je ne les aime pas, répondit calmement Strike. Elle a fauché un truc pour moi, hier.
— Ah oui ? Eh bien, à ta place, je lui exprimerais ma gratitude en la laissant monter sur toi, sinon tu risques de l’écraser comme une crêpe. »
[...] La mort violente était le lot quotidien de la Brigade spéciale d’investigation, un service qui dépendait de la Police militaire royale mais dont les enquêteurs exerçaient en civil. Face à l’horreur, ses collègues et lui s’étaient toujours réfugiés dans l’humour. C’était le seul moyen de supporter la vue des corps déchiquetés. Les morts bien lavés, maquillés, allongés dans des boîtes tendues de satin étaient un luxe inconnu à la BSI.

Edifiée à l'ère victorienne, l'immense bâtisse rectangulaire se dressait dans la pénombre hivernale, comme un temple voué au culte de la viande. Depuis des siècles, chaque jour de la semaine, dès quatre heure du matin, on y déversait des tonnes de barbaque qui finissaient, une fois dûment découpées et emballées, dans les multiples boucheries et restaurants de la capitale. Des voix résonnaient dans la nuit. Les livreurs s'interpellaient, lançaient des ordres. On entendait gronder le moteur des camions qui reculaient lentement jusqu'aux quais de déchargement en émettant des bips sonores. Sur Long Lane, Strike se mêla aux travailleurs emmitouflés qui déambulaient dans le quartier. On était lundi.
Sous le griffon de pierre montant la garde au coin de la grande halle, un petit groupe de coursiers en gilets fluorescents serraient des tasses de thé entre leurs mains gantées. Sur le trottoir d'en face, le Smithfield Café brillait comme un brasier dans la pénombre. Dans ce refuge à peine plus grand qu'un placard, on pouvait trouver de jour comme de nuit un peu de chaleur et de friture.
(derniers mots du livre)
Je ne puis me reposer des voyages ; je boirai
La vie jusqu'à la lie ; car j'ai goûté chaque moment
Immensément, et immensément souffert, tant avec ceux
Qui m'aimaient, que dans la solitude ; sur les rivages
Et quand, en rapides dérives, les pluvieuses Hyades
Tourmentaient la mer troublée : je suis devenu un nom...
[extrait de Ulysse, un poème de Tennyson]