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Critique de Henri-l-oiseleur


Damon Galgut, romancier sud-africain, écrit le roman vrai d'un autre romancier, E.M. Forster, auteur de la Route des Indes et de Maurice. Se fondant sur toute la documentation disponible, il s'assure une solide base factuelle et biographique, mais s'attache à imaginer les pensées, les paroles et les sentiments de Forster, qui devient du même coup un personnage romanesque.

Forster voit le jour et vit dans l'Angleterre victorienne et édouardienne, et ne parvient pas, lui qui aime les hommes, à s'épanouir dans ce pays-là. Bien sûr, la morale puritaine joue son rôle répressif, mais ce qui frappe dans ce livre, c'est la rigidité d'une hiérarchie sexuelle et sociale qui rappelle les castes indiennes. Ce système non seulement empêche toute mobilité, mais aussi tout contact entre les gens de classes différentes (en dehors des relations avec la domesticité). On comprend mieux, alors, que l'obsession de Forster, tout au long de sa vie, fut de "nouer le contact" en transgressant les barrières sociales. A cette époque, les homosexuels sont pourchassés moins pour des raisons religieuses et morales, comme aujourd'hui en terre musulmane, ni par souci d'hygiène, mais par respect des stratifications de classe : les rapports de police du temps insistent sur le danger que ces hommes font courir à la société, en se mêlant les uns aux autres sans tenir compte des barrières de caste. L'exemple de Carpenter, bourgeois déclassé (utopiste tolstoïen) vivant à la campagne avec un ouvrier, résume bien la question : il s'agit moins de moeurs sexuelles que de relations de classe.

La solution, pour Forster comme pour tant d'autres, ce sont les colonies d'Orient, espaces non européens lointains où ils croient pouvoir vivre de nouvelles relations. L'Inde britannique joue ce rôle libérateur, magnifiquement illustré, au début du roman, par l'officier Kenneth Searight, qui rappelle Victor Segalen à Tahiti. Seulement, le fait colonial édifie de nouvelles barrières, que la grande amitié entre Forster et Massood ne parviendra jamais à abattre vraiment. Si l'Inde est depuis l'antiquité le pays des castes, on sait que l'administration britannique donna à cette hiérarchie une rigidité qu'elle n'avait pas auparavant. Avant les Britanniques, l'Inde se divisait entre musulmans dominants et Hindous dominés : ce n'était pas non plus une partie de plaisir, mais on comprend mieux la nostalgie des Indiens musulmans "colonisés" comme Massood, et dépouillés de leur autorité. Par ailleurs, le séjour de Forster en Egypte pendant la première guerre mondiale, au service de la Croix-Rouge, l'aida à sortir quelque peu de la solitude affective et physique absolue qui a marqué sa vie entière.

E.M. Forster est un écrivain : que dit Damon Galgut de cet aspect de son personnage ? Presque rien au début : on dirait que ses livres sortent naturellement de lui, qu'ils s'éditent tout seuls et sont lus et appréciés indépendamment des relations de pouvoir propres aux milieux de l'édition. L'auteur se penche un peu plus sur l'écriture de la Route des Indes, mais ses pages ne sont guère convaincantes, et la réception d'un tel livre dans l'Angleterre des années 20 n'est pas examinée : il y a de bonnes et de mauvaises critiques, voilà tout, comme si le roman de Forster n'avait posé nul problème politique aux Anglais et aux Indiens cultivés. Quant à Maurice, sa création se fait sous le manteau, l'auteur est violemment critiqué par les amis homosexuels à qui il en fait lire des pages, et sa publication, des années plus tard, sort du cadre que le biographe s'est imposé : son récit s'achève, à peu près, à la parution de la Route des Indes.

On trouvera donc de belles atmosphères, de brèves et intéressantes rencontres littéraires (D. H. Lawrence, Léonard et Virginia Woolf, Constantin Cavafy), un récit passablement intéressant et instructif.
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