Etre heureux est dangereux pour moi, être en colère aussi. L'émotion forte m'est interdite. Elle bouscule trop de choses dans ma tête aux pensées et aux souvenirs mal accrochés.
Quand l'Eternel ordonne à Saül, premier roi d'Israël, en guerre depuis des années contre les Philistins, de mener un dernier assaut sanglant, de n'épargner personne, même les femmes et les enfants, Saül s'y refuse, il y perd tout, son royaume et sa vie. Il est décapité. Notre professeur ajoute : "ça ne veut pas dire qu'il faut obéir à l’Éternel, ça veut dire : tu peut avoir raison et le payer très cher".
« Il n’avait pas pu faire héros. Alors il avait fait salaud. Son éducation de bon catholique l’y préparait. Il appartenait à un monde d’illusion et de certitudes, où les Juifs avaient sale réputation. » (p. 23)
En vieillissant, finalement, ma vie se simplifie ( p. 199)
Jusqu'alors je faisais avec mes doutes, avec la rage de ne jamais être dupe, je sondais tout ce que le monde nous inculpe et nous impose, tout ce qui nourrit nos yeux et nos consciences. Je creusais la farce tragique des illusions humaines, je fonçais sans le savoir vers là d'où je viens.
En peinture, ce n'est pas la technique qui est intéressante, mais la liberté qu'elle offre, ce moment où l'on domine la règle. (p. 89)
(p. 48)
Au printemps, venaient les cerises. Il y avait tant que souvent ma mère invitait ses sœurs avec maris et enfants pour la cueillette.
Je me rappelle d'un après-midi ensoleillé, je devais avoir huit ans, ma marraine était sur l'échelle, et moi juste derrière elle, deux barreaux en dessous. Je voyais tout de ses cuisses, de ses porte-jarretelles, de sa petite culotte sous sa combinaison, c'était enivrant, l'aube de mes sens. N'y tenant plus, j'y ai plongé la tête. Quand j'ai rouvert les yeux, j'ai vu mon oncle qui me fusillait du regard, sans rien dire. Je sentais sa réprobation mais je ne comprenais pas pourquoi. Je pensais que cette sensation sous la robe de ma tante n'appartenait qu'à moi, comme l'arbre, comme tout ce que je ressentais et que je ne pouvais jamais partager avec eux.
Restent les chuchotements de la famille, les aveux de ma grand-mère, la colère de mon père, battements de cœur d'un monde ancien distant de quelques pierres tombales.
Une petite histoire que Jean-Michel Ribes tenait de sa grand-mère :
Deux souris tombent dans un bocal de lait.
Elles se débattent mais glissent sur les parois.
La première abandonne et se noie.
La seconde se débat tellement fort qu'elle change le lait en beurre.
Alors un jour, elle peut s'échapper.
Être dans la lune, c'est une soupape de sécurité quand les choses deviennent insupportables.