Citations sur Les aventures de l'infortuné marrane Juan de Figueras (8)
- Vous n'êtes donc pas un marrane?
- Non (...) en revanche je suis sur que vous, vous en êtes un. On le comprend à votre air inquiet, à votre façon d'être sur vos gardes, comme si, à chaque instant, une catastrophe pouvait vous tomber dessus.
Furieux, il me traita de fornicateur de porcs et de boucs, de lécheur de bêtes à cornes et de bâtard conçu pendant les règles, souhaita que le diable entrât en mon père et dévorât la vulve de ma mère, mais je tins bon.
Au collège du Saint-Sacrifice, les châtiments donnaient lieu à un fructueux commerce. Le remplacement le plus lucratif était le fouet. Pour y échapper, les collégiens fortunés rémunéraient un remplaçant. La même punition pouvait être revendue plusieurs fois : un remplaçant rétribué un peso pouvait se faire remplacer pour quatre réaux. Le nouveau remplaçant en trouvait un autre à deux réaux, et ainsi de suite. En bout de chaîne, la rétribution pouvait tomber à quelques maravédis. Pour que l’affaire fût rentable, il importait d’être parmi les premiers informés.
On se dit chrétien, mais on se réjouit du malheur des autres. Je n’aime guère ce travail, c’est pour cela qu’on me l’a confié, pour faire taire en moi toute compassion.
Il ne m’indiqua pas où trouver de l’eau, si bien que je me perdis à en chercher dans ces couloirs qui n’en finissaient pas. Leur fonction devait consister à égarer l’imprudent qui s’y aventurait. J’aurais pu les parcourir jusqu’à la fin des temps sans aller nulle part. Si mes persécuteurs voyaient mon désarroi, leur joie redoublerait certainement. Jamais je n’aurais imaginé que l’on pût éprouver ainsi du plaisir à tourmenter ses semblables. Je me sentais démuni en face de telles cruautés.
Souvent, nous croisions des personnages à l’allure pitoyable. La plupart étaient d’une saleté repoussante, hirsutes, barbus, édentés, agités de tremblements. Tout chez eux dénotait une extrême misère. Ils marchaient à grand-peine, trébuchant sur les cailloux qui blessaient leurs pieds nus. Où allaient-ils ? Sans doute ne le savaient-ils pas eux-mêmes, comme si leur destin consistait à errer d’un endroit à un autre sans se poser de questions. Ceux qui en avaient encore la force nous poursuivaient en tendant une main implorante.
Ma vie aurait continué heureuse et paisible si un soir, peu de temps après le départ de mon oncle Leonardo pour je ne sais quelle ville lointaine, mon père ne m’avait annoncé qu’il m’avait inscrit au collège du Saint-Sacrifice-de-la-Rédemption à Valence.
C’est loin de ses parents qu’un homme apprend à vivre.
Pierre Corneille (Œdipe, A. I, sc.5)