Comme des mouches

Et le doute chez un flic, c'est comme un caillou dans une chaussure, on ne se sent à l'aise qu'une fois qu'il est enlevé.

A titre personnel, le remède inconditionnel à de nombreux problèmes reste le placard à bonbons sur lequel je suis appuyée. Je me décale de quelques centimètres pour l'entrouvrir et saisir les M&M's. Je dépose provisoirement le couteau sur mes cuisses et j'explose le paquet pour libérer les otages. Je les trie par couleur. Une fois les petits tas créés, j'attribue une peur à chacun d'entre eux. Oui je les engloutis pour faire disparaître les peurs.

Perplexe, elle saisit son Stream Banana et glisse la paille entre les lèvres en me susurrant un Love Corner provocateur. je ne sais pas pourquoi j'ai honte. Les sites de rencontres ont la cote. personne n'ose l'avouer, mais il y a foule dans le salon de l'amour. Si ce n'était pas le cas, ils fermeraient leurs portes virtuelles.

Le rictus placardé sur son visage me fait envisager le pire. D’un mouvement souple, elle tourne le PC.

– Tu te souviens de Regina Phalange ?

– Nom de Dieu, Gwen. Non !

– Mais siii ! Ça va être drôle. Comme au bon vieux temps.

e me penche par-dessus l’écran, mais Gwen le retire rapidement de mon champ de vision. Son attitude laisse présager le pire. Aussi loin que je m’en souvienne, elle a toujours eu en elle un grain de folie qui attire l’attention de tout être vivant cent mètres à la ronde. Dans une foule, Gwen est un point de repère. En réalité, elle est le point de repère. Depuis notre enfance, ses cheveux sont passés par tous les tons de l’arc-en-ciel. Parce qu’il faut, selon elle, tester pour se faire une opinion. Sa garde-robe est plus colorée que le carnaval de Rio. Elle aime récupérer, associer et puis recommencer avec de nouveaux tissus. Gwen s’habille en adéquation avec son humeur et, comme elle dit, un jour n’est pas l’autre. Malgré quelques tailles de différence, la petite fille que j’ai rencontrée à l’école lorsque je suis arrivée à Berry est assise devant moi. Je la voyais bien évoluer dans le milieu de la mode, mais elle a préféré s’asseoir à mes côtés sur les bancs de la fac de droit. J’étais contre cette idée idiote. Je ne voulais pas qu’elle me suive alors que sa passion pour les fringues aurait pu révolutionner les podiums. Elle m’a toujours soutenu que toutes les passions ne sont pas destinées à devenir un métier. Sujet tabou. Fin de la discussion.

Les plis de son visage s’éclairent soudain comme si elle venait d’être gagnée par une illumination divine. On pourrait presque voir une ampoule au-dessus de sa tête surmontée de la légende : EURÊKA !

– Tu m’as bien dit que tu ne supportais pas qu’on se soit joué de toi, n’est-ce pas ? C’est marrant, parce que j’ai pensé à quelque chose. Ça devrait te remonter le moral.

D’un geste, elle s’empare de son ordinateur et pianote sur le clavier. Mon instinct sent la mauvaise idée arriver.

– Qu’est-ce que tu fais ?

Gwen me fait signe de patienter une seconde, puis me dévisage et se remet à taper sur les touches.

– Je ressuscite une vieille amie à nous.

– Quoi ? Qu’est-ce que t’es en train de fabriquer ?

Si t’étais membre des alcooliques anonymes, tu serais congédiée en deux heures.

– Moi ? Anonyme ? J’crois pas non. Et puis c’est un cas de force majeure. Cocktail spécial anxiété. Au bout de deux ou trois, tu oublieras même que tu te trouves dans un bar. On est en week-end ou pas ?

– Si tu résous tous tes problèmes de la même façon, je comprends d’où tu tiens ta réputation…

Gwen fait la gamine. Elle grimace et me tire la langue.

– Na na na, très drôle.

Un ange passe sur mes états d’âme avant que Gwen se décide à poser une main rassurante sur mon poignet.

– T’es une princesse et tu mérites d’être considérée comme telle par un prince.

Sans transition, elle se penche en équilibre sur les deux pieds arrière de sa chaise et jette un regard appuyé en direction du comptoir dans l’espoir d’attirer l’attention du barman. L’index et le majeur de sa main droite forment le V de victoire.

– Deux Stream Banana, s’il vous plaît.

L’homme derrière le zinc acquiesce d’un petit signe de tête et pose son torchon sur son épaule.

– C’est pas un peu tôt pour l’apéritif ? je demande en jetant un coup d’œil à ma montre.

Elle claque des doigts puis ouvre sa paume et souffle dessus.

– Sois contente de le voir sortir de ta vie plutôt que de t’apitoyer sur toi-même…

– Je sais tout ça, Gwen, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Je ne peux pas oublier cette histoire et barrer mes souvenirs avec un marqueur noir. Ce qui me fait le plus mal, je crois, c’est cette sensation d’avoir été manipulée, qu’on ait joué avec mes sentiments… Et devoir repartir de zéro alors que la date de péremption ne recule pas. J’vais finir seule…

– Je suis fière de toi, Leila. Fière que tu sois ici. Je comprends trop bien ton besoin de passer tes journées en training enroulée dans un plaid en tête à tête avec ton pot de choco, mais faut sortir de ça au plus vite. Ça me tue que tu te rendes malade pour un mec. Tu devrais être capable de l’oublier comme ça.