- "C'est bien Lucette ?
- Oui." Elle harponne le téléphone, qui, tétanisé, se laisse faire. "Et vous ?
- C'est Maguy ! Vous ne me reconnaissez pas ?
- Si, si, Maguy...
- Maguy, la soeur de Mauricette !
- Oui oui, dit-elle sans savoir et en collant le combiné contre son oreille.
- Est-ce que vous savez que bientôt on sera neuf milliards d'humains sur la planète ?
- Non ?! Neuf milliards, vous dites ?
- Neuf ! Ils l'ont dit ce matin à la télé.
- Et alors ?
- Ça vous inquiète pas, neuf milliards ? Comment elle va faire, la terre ?
- C'est pas pour demain, Maguy, ne nous affolons pas !
- Et les vieux ! Ils ont dit à la télé ce matin qu'il y en avait trop, qu'on ne savait plus quoi en faire et qu'ils vivaient trop longtemps !
- C'est pas faux d'un certain côté !
- Mais j'ai pas envie qu'on m'euthanasie !
Il est grand, beau et fort. Il résiste, lui. Il n'est pas comme tous ces vieux. Il a toujours fait attention à lui avant de faire attention aux autres. C'est la clef de la réussite.
Nicole aime le beau temps. Elle trouve que même les cons quand le soleil brille c'est plus facile à supporter.
Après la mort de Gilbert, elle a du mal à aller dans le jardin. Le tuyau d'arrosage, l'arrosoir, la pioche, les objets aiguisent la douleur. Pourquoi est-elle encore là, elle ? Elle serait bien partie avant lui. Ou plutôt, elle serait bien partie avec lui.
Aujourd’hui est le jour du Scrabble de Mme Rousse et de Régine Daspet.
(…)
– SPERME.
– Régine !
– C’est un mot comme un autre, non ?
– Quand même !
– Ne faites pas la fine bouche, madame Rousse ! Ne faites pas votre Rouby !
– Ah ! Ah ! ah ! Rouby Gnôle ! ah ! ah !
– Madame Rousse !
– Elle est comment, cette Nicole ?
– Elle a soixante ans.
-Soixante ans ! Mais c’est une jeunesse !
Comment font les gens depuis toujours quand ils vont mourir ? elle aimerait se raccrocher à quelque chose. C’est important, paraît-il. Elle envie soudain ceux qui ont la foi. Elle donnerait tout pour croire aussi. Ça doit être tellement rassurant d’être convaincu qu’une fois mort, on est enfin vivant.
Dans le noir du jour, elle entend alors la voix humaine de la solitude et du silence.
Tout a bien changé depuis son lointain mariage. D'abord, ils sont tous devenus vieux, ceux qui ne sont pas morts. Et puis ça se construit de partout, autour de la ville. Ca s'étale ! Des lotissements, des maisons, des immeubles. Le soleil attire les hommes. Alors qu'il n'y a rien de plus meurtrier. Ce sont des personnes âgées qui viennent. Ils ont l'impression qu'être au soleil va leur faire voir la vie en rose. Ils viennent du nord, de l'est, de l'ouest et même du sud. Ils viennent de l'étranger. On ne comprend souvent rien à ce qu'ils disent. (p. 39-40)
De nos jours, vous l'aurez remarqué , dès qu'il fait chaud quelques heures d'affilées, la météo qui se trompe à longueur de semaines alerte toute la communauté
"Gare ! Gare ! Voici un début de canicule ! Prenez des nouvelles fraîches de vos voisins !"
Et c'est le même refrain dès que la pluie tombe à seaux sur votre jardin.
" Gare ! Gare ! Le tsunami est pour tout de suite, préparez votre canoë-kayak".
L'être humain en ce début de siècle scrute l'azur avec appréhension et craint le pire.
Que nous prépare le ciel ?
Les fleurs sont plus reposantes que les êtres humains. Elle vous demandent beaucoup et vous donnent parfois ce que vous attendez.