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Critique de Alfaric


J'ai lu tous les Gemmell. Je les ai tous adorés : celui-ci ne fait pas exception à la règle ! Un spécialiste du western spaghetti pourrait lister toutes les inspirations manifestes et tous les clins d'oeil, mais plus encore DG nous offre avant l'heure un western crépusculaire à la "Impitoyable" (le présent livre est de 1990, le film de Clint Eastwood est de 1992). Il a associé cette démarche à un revival héroïc-fantasy de la plus belle eau 2 ans plus tard dans le 2e opus de la trilogie "Waylander".

Difficile de savoir si on puise dans Howard ou dans Moorcock (qui puisait dans Howard).
Difficile de savoir si on puise dans Kurosawa ou dans Leone (qui puisait dans Kurosawa).
Dans tous les cas une histoire toute empreinte de mélancolie et d'amertume qui annonce les aventures d'Olek Skilgannon.

Le roman poursuit les événements évoqués dans l'épilogue du "Roi sur le seuil" : à la mort de Renya, Tenaka a conquis la majeure partie du monde connu à la tête des nadirs qui règnent en maître de la Nouvelle Gulgothir à Hao-tzing, de la Vagria à Naashan.
Dans "Le Roi sur le Seuil", nous suivions Tenaka, descendant d'Ulric promis à un grand destin, perdu et dépressif parmi les Drenaïs.
Dans "La Quête des héros perdus", nous suivons Charéos, descendant de Rek promis à un grand destin, perdu et dépressif parmi les Gothirs.
Et difficile de ne pas penser à "Gladiator" (1999) dans le triangle maudit Tenaka, Jungir, Tanaki (Marc-Aurèle, Commode, Lucilla).

Le roman porte bien son titre : DG nous présente toute une galerie personnages complètement désabusés, sans illusion aucune sur un monde hypocrite dirigé par des connards sociopathes prêts à tout et au reste pour augmenter leur pouvoir et leur richesse. Dévorés par la nostalgie, ils sont tous prisonniers d'un passé doré qu'ils n'ont aucunement contribué à sauver, à restaurer ou à ressusciter.
D'où l'aura de désenchantement qui transpire des éléments du roman, totalement contrebalancé par un rêveur qui va tout dynamiter (alors que l'année précédente il avait rédigé un "Renégats" d'une noirceur délétère se terminant par un fin nihiliste)
Qui est le véritable héros de cette quête absurde sinon ridicule qui va se transformer en road movie sword & sorcery ?
- Charéos qui au bout de cette quête encensée va embrasser la destinée qu'il a fui toute son existence durant
- Beltzer qui ne vit que pour retrouver les quelques instants plénitude qu'il a connu dans sa vaine existence
- les amants de brokeback mountain Finn et Maggrig qui vont tout quitter juste pour un dernier combat
- Tanaki la femme forte qui doit lutter chaque jour contre l'hypermachisme de son peuple
- Chien-tsu l'artiste martial qui va placer son devoir au-dessus de sa vie et de son honneur
- l'assassin Harukas, amoureux d'une femme qui lui offre son corps mais pas son coeur
- Asta Khan qui va jusqu'au coeur des ténèbres par loyauté envers son défunt khan
- le capitaine Salida, qui seul contre tous s'oppose contre la corruption du système
Bon gré mal gré, tout ce beau monde va devoir suivre la soif d'idéal et de justice du jeune Kiall. Il est le catalyseur de cette comédie humaine : en les emmenant au-delà des frontières gothires dans les steppes infinies nadires, il va les confronter à leurs rêves et à leur cauchemar, à leurs forces et à leurs faiblesses. Lui aussi va perdre ses illusions, mais en allant jusqu'au bout de ses promesses par refus de la fatalité de la pourriture, il va offrir à tous une leur d'espérance dans un monde de brutalités. Car cet un univers brutal que nous décrit DG : ainsi le dénouement confrontation Tanaki / Tsudaï est quasi insoutenable (attention on retrouve exactement la même scène, mais en bien pire dans "10 000" de Paul Kearney).

L'auteur n'est toutefois pas ici au sommet de son art, loin s'en faut car il fera mieux (mais pas forcément plus plaisant) plus tard :
- beaucoup de deus ex machina pour faire avancer l'intrigue à marche forcée (Okas, Asta Khan, Tanaki, Harokas, Tenaka…)
- des transitions sont écourtées, nuisant à la fluidité du récit (mais on à kilomètres des DG brouillons début eighties)
- des évolutions sont précipitées, nuisant à l'immersion du récit (mais on à kilomètres des DG brouillons début eighties)
Charéos, Beltzer, Finn et Maggrig se rallient bien rapidement à cette non-quête
Tanaki passe de pétasse narcissique à rêveuse mélancolique en quelques pages
Harukas change de fusil d'épaule si rapidement qu'on le croirait sorti du même tonneau que les assassins bisounours de Waylander
- l'utilisation des portails dimensionnels est une pièce rapportée ratée, les voyages shamaniques peuvent flirter avec le WTF
- le duel judicaire final, dans la grande tradition capes et épées, une fois encore n'offre pas les émotions espérées
- les leitmotivs se devinent trop aisément car encore trop peu exploités :
Belzer deviendra Bison (voire Angel et Piercollo), Finn deviendra Kedra (voire Wulf et Ekodas), Chien-tsu deviendra Kysumu, Asta Khan reviendra à la fois Kesa Khan et Nosta Khan, Okas deviendra Renard-A-Un-Oeil, la relation Attalis / Charéos, d'inspiration autobiographique, deviendra la relation Sigillus / Tarantio… Tout cela sort du même imaginaire et des mêmes valeurs humanistes !

Et comme tous les DG eighties, on termine par un épilogue frustrant : celui de "La Quête des héros perdus" est le pire de tous ! Car le roman n'est finalement que le prologue du récit le plus épique de son multivers : la Guerre des Jumeaux. Qui va l'emporter : Aradan le phénix drenaï élevé par Charéos ou Tsubir l'aigle nadir élevé par Asta Khan ? (en sachant que le successeur de Kiall, autre héritier de l'Unificateur, va forcément peser dans la balance ?)
Nous ne le saurons jamais, car David Gemmell nous a quitté avant d'écrire cette saga…

Que serait un livre de David Gemmell sans clins d'oeil à l'immense oeuvre de l'immense Michael Moorcock ? La relation Tanaki / Tsudaï ressemble juste ce qu'il faut à celle de Yasmina et Theleb Karna dans Elric de Melniboné. On retrouve les diatribes anti-impéralistes : la noblesse gothire qui rêve de sa soi-disant grandeur passée se perd en fêtes décadentes. On retrouve les diatribes anti-libérales : la noblesse gothire collabore avec l'ennemi pour perpétuer l'exploitation de son propre peuple... Puisse tous ces crevards narcissiques thuriféraires de la compétitivité connaître le même sort que le ploutocrate M. L. Crassus !
Lien : http://david-gemmell.frbb.ne..
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