- Maman, pourquoi tu es encore pieds nus ? Tu n'as pas froid aux pieds ? Je t'ai acheté des chaussons l'autre jour.
- Je ne veux pas les user.
- Ils ne m'ont presque rien coûté. Mets-les et lorsqu'ils seront usés, tu les jetteras.
- Quand j'étais jeune, à l'époque…
- Maman. On n'est plus en temps de guerre. lorsqu'ils seront inutilisables, je t'en rachèterai. Alors mets-les.
« J’aimerais tant savoir si ma sœur est encore de ce
monde. » Dit souvent ma mère en regardant les
informations lorsque la Corée du Nord est évoquée.
Que savons-nous de la frustration et de la douleur
extrêmes de ne savoir si un être cher est encore en vie
ou non ?
-Tu sais qu'il y a cinq bébés qui sont nés pendant le voyage? Devine comment les soldats américains les ont appelés? Kimchi 1, 2, 3, 4, 5.
-Kimchi?
-Tellement drôle. C'est ridicule, mais ils avaient dû constater que les Coréens mangeaient tout le temps du kimchi.
Et puis j'ai essayé de comprendre ma mère. [...]
J'ai essayé de comprendre. Mais mon cœur n'acceptait pas. J'ai décidé d'abandonner. Il vaut mieux que ce soit moi qui change, et que je jette l'éponge. Parce que ma mère ne changera pas.
Quand on a la possibilité de faire des études, il ne faut pas gâcher cette chance.
Maintenant je me rends compte que ce n'est peut-être pas un hasard si j'ai déménagé à l'île de Ganghwa. C'est l'endroit le plus proche de la frontière entre les deux Corée. La Corée du Nord est en face de chez moi. La prochaine fois que ma mère viendra, je l'emmènerai à l'observatoire de la paix. De là-bas elle pourra voir un bout de la Corée du Nord.
En courant après les voleurs pour récupérer le sac, ma soeur s'est faite renverser par une voiture. Elle est morte sur place. Tout est arrivé si brutalement. Minhé était pour moi comme une seconde mère. C'est elle qui m'a élevée pendant que ma mère travaillait. Quelques jours plus tard, j'ai eu les résultats du baccalauréat. J'étais admise. Quand je pense à ce qui s'est passé à l'époque, il me vient des larmes. Je ne sais pas si je suis triste, mais mon coeur est serré. Ma mère n'a pas pleuré.
[la mère] -Les vivants doivent continuer à vivre.
Cependant, elle parlait parfois toute seule comme une folle.
[La mère] J'ai vraiment pas de chance. Un enfant, j'ai perdu. Une autre est morte avant moi. Mon destin doit être maudit.
"-C'est toi, Young-Sook?
-Oui, je suis Song Young-Sook.
-Ah, le nom de famille est le même. Si tu es vraiment ma petite soeur, tu dois avoir un grain de beauté sur le front.
-Le voilà [elle écarte ses cheveux de son front].
-Young-Sook. Tu es bien ma petite soeur.
-Ah, frérot, tu m'as manqué!"
C'était l'émission spéciale en direct de la chaîne KBS "En quête de famille"*. Toute ma famille pleurait. Heureusement, du coup je n'ai pas été grondée pour mon retard.
-Cette émission m'a sauvé la vie, héhé! [pense la fillette de 10 ans]
Ma mère et mon père avaient écrit quelques mots sur des pancartes afin de retrouver leur famille [ils ont chacun.e subi une séparation forcée avec un premier époux.se et un enfant, perdu.es dans la masse en 1950 lors de l'exode au début de la guerre entre les deux Corées, en fuyant le Nord] Ils se rendaient tous les jours devant le siège de KBS à Yeouido. Quant à moi, je n'étais pas du tout intéressée par tout cela. C'est que moi aussi, j'avais mon petit secret. [Elle avait le béguin pour le délégué de sa classe.] Je ne savais pas ce qu'était la guerre ni ce qu'étaient les familles séparées, mais quand mon professeur principal m'a demandé de dessiner une affiche anticommuniste, j'ai travaillé dur. Nous devions aussi rédiger une lettre amicale destinée à l'armée de la république de Corée. D'après le professeur, la lettre était destinée à réconforter les braves soldats qui protégeaient notre pays contre les forces communistes nord-coréennes. C'était un devoir que tout élève du Sud devait faire.
*Emission diffusée en direct durant 138 jours, du 30 juin au 14 novembre 1983. Il y a eu un total de 100 952 demandes et 10 189 retrouvailles ont eu lieu. (Source des données : Unesco and Heritage, Heritage.unesco.or.kr)
Que savons-nous de la frustration et de la douleur de ne savoir si un être cher est encore en vie ou non ?
La génération qui a vécu la guerre est en train de
s’éteindre, et avec elle un pan de cette douloureuse
histoire. La génération actuelle ne s’intéresse que peu
à la réunification des deux Corées. Pour elle, la guerre
fait partie d’un passé désormais très lointain. Les gens
rejettent la douleur des familles séparées, qui leur paraît
trop évidente. Le Sud et le Nord resteront-ils comme des
lignes parallèles qui jamais ne se rencontreront ?