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Critique de berni_29


Lorelei est, je crois, un des tous derniers romans écrits par Maurice Genevoix, peut-être l'avant-dernier, me semble-t-il. Au crépuscule de sa vie, voici ce jeune homme de quatre-vingt-huit ans qui nous invite à une histoire sur l'adolescence. Et quelle histoire !
Au départ, on s'ennuierait presque dans cette province un peu vieillotte de 1905, dans le Val de Loire. Il y a fort à parier que ce jeune adolescent de dix-sept ans, Julien Derouet, ressemble peut-être comme deux gouttes d'eau à celui que fut Maurice Genevoix à peu près à la même époque.
Oui, il y a quelque chose au départ de très désuet. On se dirait presque que ce livre est un peu daté, qu'il a vieilli, que cette histoire est celle d'une autre époque. Mais voilà, il y a mille petits détails qui m'ont happé et entraîné follement dans les pages de ce récit d'apprentissage.
Lorelei, c'est un rivage, l'histoire d'un récit de vacances, on est sur le bord de ce rivage, un rivage qui est cette vie tranquille du Val de Loire, à Chasseneuil. Il y a cette proximité familière, l'univers de Julien est peuplé de ces personnes intimes et chaleureuses, la famille de Blonde, sa mère Gabrielle, sa soeur ainée Brigitte, Blonde et Julien ont le même âge, ils s'aiment depuis toujours, d'un amour tendre, d'un amour de jeunesse, c'est comme s'ils étaient déjà fiancés, promis l'un à l'autre. Tout semble déjà écrit pour eux, leur histoire, leur chemin, le paysage qui les entoure, ils sont déjà vieux à dix-sept ans. La mère de Blonde, Gabrielle Roy, est là un peu pour ordonner les choses, les goûters chez elle où elle reçoit quelques amis, quelques notables qui lui font la cour, elle est veuve, elle organise déjà les vacances à venir, un été en Allemagne pour retrouver Pacome le fils de la famille qui fait son apprentissage là-bas chez un maître tanneur, ce sera à Offenbach-sur-le-Main, ce temps qui séparera Julien et Blonde pour quelques semaines. J'ai aimé ce personnage de Gabrielle Roy, cette figure maternelle protectrice qui sait aimer et se faire aimer, elle incarne une forme de sérénité respectée, l'intuition gouverne ses pas, elle semble pressentir chaque chose en ce monde.
Lorelei, c'est un rivage et à la faveur d'une main tendue par Gabrielle Roy qui ne veut pas que deux enfants qui s'aiment soient séparés par le temps de l'été, elle propose à Julien de faire partie du voyage. C'est l'enthousiasme juvénile.
Lorelei, c'est un rivage et l'autre côté du rivage, c'est l'Allemagne, celle de 1905. L'amitié franco-allemande était quelque chose encore de fort, de solide, neuf ans avant que ne démarre la Grande Guerre qui allait faire voler en éclat cette fraternité et faucher en plein vol des millions de vies...
L'autre côté du rivage, il y a ce jeune étudiant allemand romantique de vingt-deux ans, il s'appelle Gunther. Julien et Gunther vont s'éprendre très vite d'une amitié étrange et fascinante, nimbée de mystères, comme les contours d'une passion secrète et inavouée.
Qu'a-t-il, ce jeune homme pour semer une telle fascination et un tel trouble chez Julien...? Son âge, sa beauté lumineuse, son visage marqué d'une balafre par le geste d'un sabre, son intelligence, son érudition, son amour pour la poésie d'Hölderlin, sa culture ample qu'il cherche à transmettre comme une richesse à partager, une sensibilité à fleur de peau, brûlant sous la tourmente, enfermée en lui comme un écrin protecteur... Peut-être tout cela à la fois...
Julien hésite à s'approcher de ce jeune homme étranger et si peu étranger à lui, un peu comme un papillon de nuit qui se bat devant la flamme de la lampe. « L'attirance et le repli sur soi ne sont pas exclusifs l'un de l'autre », dit alors le narrateur.
Très vite le jeune homme prend l'ascendant sur Julien, mais de cette amitié, chacun en sera transformé.
Cette amitié sera comme une tourmente, un séisme souterrain, quelque chose qui va laisser des traces en eux et autour d'eux, dans l'histoire d'amour que ressentait Julien avant l'été, dans cette naïveté presque encore puérile...
Dans ces abîmes qui créent le désarroi, il y a aussi ce qui n'est pas dit.
Ce livre est empli d'une magie, qui ne dévoile pas tout entièrement. Et c'est beau...
L'adolescence est un lieu de passage d'une rive à l'autre...
Je me souviens de cette première lecture peu après la sortie du livre. J'avais l'âge de Julien, j'étais fasciné par l'Allemagne, des amitiés que j'allais forger outre-Rhin, au travers de voyages d'études, de jumelages entre les villes, des moments riches, festifs, fraternels, dont je me souviendrais longtemps après. Lors de ce premier séjour, j'étais hébergé dans la famille d'un garçon du même âge que moi, il s'appelait Mathias, dans une petite bourgade d'Allemagne de l'Ouest à quelques encablures du rideau de fer. Je mettais les pieds pour la première fois en Allemagne, avec toutes les représentations, fausses pour la plupart, que je me faisais de ce pays, sans doute influencé par l'histoire de mes parents qui avaient connu la seconde guerre mondiale, ses meurtrissures... Mais pour eux, ces échanges étaient importants, devaient s'accomplir, se poursuivre et se multiplier... Cependant, au retour de ce premier séjour, ma mère ne manqua pas de me poser des tas de questions sur le père de Mathias, son âge, ce qu'il faisait à présent. Quand je lui dit l'âge approximatif qu'il devait avoir, j'ai vu cette légère grimace qu'elle a tenté vite d'effacer, mais je savais déjà qu'elle avait calculé dans sa tête l'âge que le père de Mathias pouvait avoir en 1944, année où son fiancé, le père de ma soeur, avait été fusillé par la Gestapo...
Lorelei est tout simplement un livre magique, comme le titre qui évoque cette divinité germanique, une ondine un peu maléfique, attirant les navigateurs du Rhin par son chant pour mieux les perdre. Elle est présente dans l'histoire... Ainsi ces pages sont-elles emplies de sortilèges, lorsque les choses semblent brusquement vous échapper, vous porter ailleurs, perdre les personnages dans les dédales qui s'offrent à eux...
L'élégance de l'écriture est souveraine ici. Elle nous prend la main, ne nous lâche plus. C'est un récit épris de mystère, celui du lieu, celui des paysages contrastés, dépeints avec justesse, sensualité, dans un lyrisme jamais excessif, celui des émotions convoquées, celui du temps aussi, temps présent, temps à venir... Celui des rivages qui séparent le monde de l'enfance en deux, il y avait avant et il y aura désormais après...
Ce récit initiatique est peut-être la quête d'une impossible harmonie.
Quarante-deux ans plus tard, il me semble avoir abordé ce roman d'une tout autre manière, des choses que je n'avais pas vues à la première lecture, que je ne voulais peut-être pas voir... Étrangement, à la fin de cette seconde lecture, je me suis dit que je n'avais peut-être pas encore tout saisi dans la richesse des peintures et des émotions, j'ai hésité à revenir en arrière, revenir à cette lecture par le recommencement. Peut-être vais-je attendre encore quarante-deux ans...
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