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Critique de Presence


Ce tome comprend une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 6 épisodes, initialement parus en 2017, écrits par Donny Cates, dessinés et encrés par Geoff Shaw, et mis en couleurs par Jason Wordie. La quatrième de couverture comporte des commentaires flatteurs formulés par Michael Moreci, Phil Hester, Brian Michael Bendis, Mark Waid, Terry Dodson, Babs Tarr, Christopher Sabela et Tim Seeley. En fin de recueil se trouvent les couvertures alternatives réalisées par Gerardo Zaffino (dont une en hommage à Savage Dragon d'Erik Larsen, et une autre en hommage à Spawn de Todd McFarlane), Dylan Burnett, Ian Bederman et Nick Derington. le récit s'ouvre avec une citation de Cormac McCarthy, tirée de Méridien de sang.

L'histoire est racontée et commentée par une discrète voix désincarnée, comme s'il s'agissait d'une histoire de famille passée de génération en génération. Elle parle d'une époque reculée, de faits anciens s'étant déroulé au Texas. Au temps présent, Roy Quinlan arrive à avec sa femme Janey et sa jeune fille Deena, devant la maison de son père Emmett, au volant de son pickup. Ils en descendent et Roy Quinlan va discuter avec le shérif. Ce dernier lui explique que son père a été retrouvé errant au bord de la voie rapide, totalement désorienté. Il a frappé le policier venu l'aider, à la mâchoire et il a fallu le maîtriser. Il suggère à Roy que son père serait peut-être mieux en maison de repos, où un personnel soignant pourrait lui apporter l'aide nécessaire à une personne atteinte d'Alzheimer. Roy Quinlan s'insurge contre cette idée et pénètre dans la maison. Son père se lance dans une colère furieuse, ne reconnaissant personne, et exigeant de savoir qui ose s'introduire dans sa maison. Dehors la fillette prend peur et va se réfugier dans les bras de sa mère. le shérif les quitte.

Janey Quinlan indique à son mari Roy qu'elle souhaite retrouver une vie normale, sans avoir à s'occuper de la charge de son père malade. Elle prend sa fille Deena avec elle et elles montent dans le pickup pour retourner chez elle. Roy Quinlan reste seul pour s'occuper de son père. Alors qu'il rentre dans la maison, la pluie commence à tomber. Peu de temps après, un voyageur est attaqué par une meute de loups dans la ville voisine. Une tornade s'approche et manque de faire chavirer le pickup que conduit Janey Quinlan. La foudre s'abat sur la chambre où se repose Emmett Quinlan, la tornade fait des allumettes de la maison. Janey Quinlan est revenue avec sa fille pour qu'elles se mettent à l'abri de la tornade. Une silhouette spectrale enténébrée s'approche de Deena, mais elle est pulvérisée avant de l'atteindre par Emmett Quilan maniant une épée de 2 mètres de long.

À l'automne 2017, sortent coup sur coup 2 récits écrits par Donny Cates : celui-ci et Redneck, tome 1, dessiné par Lisandro Estherren. Dans le même temps, il est embauché par Marvel sous contrat exclusif, pour écrire Doctor Strange. En regardant la couverture et même après avoir lu la quatrième de couverture, le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre comme récit. Il remarque d'épisode en épisode que la distribution de personnages est assez restreinte : les 4 membres de la famille Quinlan, l'épée Valofax, et 3 déités Aristus, dieu de la guerre, du sang et de l'honneur, Attüm, dieu du royaume de Toujours, et Balegrim. le récit repose sur le fait qu'Emmett Quinlan a reçu une épée qui est en fait la déesse de toutes les épées, et qu'elle est réclamée par la déité qui l'a forgée. Il est hors de question pour Emmett Quilan de rendre l'épée car Valofax lui a rendu l'intégrité de son esprit, débarrassé des effets de la maladie d'Alzheimer. Il s'en suit plusieurs affrontements épiques qui vont l'emmener jusque dans la dimension et le royaume d'Attüm. C'est donc un récit à la croisée du fantastique et du drame familial.

Geoff Shaw a déjà travaillé avec Donny Cates, pour Buzzkill et pour The Paybacks. le lecteur apprécie vite la conviction avec laquelle il représente les différents environnements. le premier épisode fait la part belle aux paysages de cette région désertique du Texas, et il peut y voir la flore caractéristique, ainsi que le relief, et même quelques représentants de la faune comme des lapins. Il peut laisser courir son regard à perte de vue, constater la faible densité de la végétation. Il bénéficie de plusieurs vues extérieures de la maison d'Emmett Quinlan, une construction en bois, un peu artisanale, ce que confirme le personnage dans une discussion, car elle a été construite par le grand-père de Roy. Plusieurs séquences se déroulent à l'intérieur de la maison, et là aussi le lecteur peut voir chaque planche de bois, chaque latte de parquet, ainsi que l'agencement simple des pièces. S'il ne peut pas se faire une idée générale du nombre de pièce et de leur disposition, il est convaincu de leur authenticité chaque fois qu'il y pénètre. À proximité de la maison se trouve une éolienne pour fournir de l'énergie, et la clôture de piquets typique.

Cette histoire est l'occasion de plusieurs affrontements destructeurs du fait de l'emploi de l'épée Valofax, et de la nature divine de l'ennemi d'Emmett Quinlan. Geoff Shaw impressionne par sa capacité à utiliser ces grands espaces pour donner de la latitude d'évolution aux personnages : grands moulinets avec l'épée, ampleur de la destruction causée par les coups portées, sans perdre l'échelle de taille donnée par les éléments du paysage. Les dimensions de Balegrim, puis d'Attüm ne présentent pas beaucoup de caractéristiques visuelles, mais suffisamment pour ne pas se réduire à une scène de théâtre sans décor. Les déités se présentent sous une forme anthropomorphe avec une haute stature élancée et une armure antique. Les êtres humains normaux adoptent des postures naturelles, et effectuent des mouvements normaux, cohérents avec la situation, posés quand il s'agit d'une discussion banale, rapides dans les situations de danger. Shaw sait faire exprimer des émotions nuancées par le biais des visages. le lecteur apprécie en particulier le langage corporel de la fillette Deena, cohérent avec son âge. Il ajoute des zones de petits points pour souligner le relief des visages, leur donnant également un air un peu plus grave. le coloriste Jason Wordie effectue un bon travail, accentuant le relief des surfaces par le biais d'un jeu sur les nuances d'une teinte. Il apporte des textures à différents types de surface, par exemple pour le bois. Il aide à faire ressortir les surfaces les unes par rapport aux autres, et il sait utiliser les effets spéciaux avec pertinence, sans écraser les traits encrés.

Les pages de Geoff Shaw & Jason Wordie permettent au lecteur de se projeter dans cette région un peu isolée du Texas, de ressentir le calme de cette zone, de visiter la maison d'Emmett Quinlan, et de se sentir le jouet des forces déchaînées pendant les affrontements titanesques. Donny Cates raconte une histoire assez originale. Il est donc question d'un dieu ayant forgé une épée personnification divine de toutes les épées, et, à ce titre, dotée d'une conscience capable de communiquer avec les personnages. le lecteur ne pense pas forcément à Stormbringer, l'épée d'Elric de Melniboné (personnage de fiction créé par Michael Moorcock) car elle n'apporte pas le même destin funeste et elle n'absorbe pas les âmes. À une ou deux reprises, il voit bien que le scénariste s'en sert comme artifice narratif bien pratique pour modifier l'issue d'un affrontement ou d'une discussion. le scénariste ajoute une touche sinistre à l'épée avec la manière dont elle a été forgée. Même si elle parle, Valofax n'est pas vraiment un personnage à part entière. L'enjeu du récit repose à la fois sur le destin de ce panthéon et sur l'intérêt personnel d'Emmett Quinlan. La voix qui commente les événements se vite assez rare. Elle apporte une touche de destin puisque les événements se sont déjà produits, et quelques commentaires sur la personnalité d'Emmett, mais sans insister comme un narrateur omniscient peut le faire parfois.

Plus qu'un récit fantastique, il s'agit d'un drame très humain. Emmett Quinlan voit en l'épée le moyen de retrouver sa dignité, de recouvrer ses capacités physiques et mentales dont la maladie d'Alzheimer l'a privées. Cela constitue une motivation très parlante pour le lecteur. le prix à payer pour Emmett Quinlan est de tout détruire sur son passage, de porter le combat jusque chez l'adversaire quitte à ne pas en revenir. de la même manière que la maladie le condamne à une déchéance physique et intellectuelle, la possession de l'épée le contraint à se battre pour la conserver, et pour protéger ses proches, pour éviter qu'ils ne rejoignent le rang des dommages collatéraux. Dans le même temps, le lecteur peut y voir la métaphore de la lutte contre la maladie. le lecteur peut également apprécier l'ironie du récit qui inverse les rôles, faisant du père âgé le héros d'action, alors que le fils doit se retrouve dans une position intenable, à rester pour protéger sa famille alors même qu'il n'en a pas les capacités physiques.

Donny Cates et Geoff Shaw racontent une histoire beaucoup plus personnelle que ne le laisse supposer la couverture, et le genre dans lequel elle s'inscrit. Sous des dehors de combats physiques contre des dieux peu cléments, le récit évoque la vieillesse, la maladie, la difficulté pour une famille de rester unie, en regardant la vie comme une lutte sans cesse recommencée.
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