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Critique de Presence


Ce tome est le troisième d'histoires complètes consacrées à Hellboy, dans une collection mettant en avant un artiste. le premier à en avoir bénéficié fut Richard Corben avec Hellboy: House of the Living Dead (2011), réédité dans Hellboy in Mexico. le deuxième fut celui réalisé par Duncan Fegredo : Hellboy: The Midnight Circus (2013) toujours à partir d'un scénario de Mike Mignola. Celui-ci est initialement paru en 2017, coécrit par Mike Mignola, coécrit, dessiné et encré par Garry Gianni, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. Il comprend une bande dessinée de 49 pages. La couverture a été réalisée par Mike Mignola. Il a dédicacé ce tome à Ray Bradbury, Gregory Peck, Herman Melville et William Hope Hodgson, ce qui donne déjà une bonne idée de la nature du récit.

Le récit s'ouvre avec une citation extraite de la complainte du vieux marin (Rime of the ancient mariner, 1797-1799) de Samuel Coleridge (1772-1834). Hellboy se trouve dans un cimetière de navires en bois. Il s'installe dans un petit esquif muni d'une voile, et d'une paire de rame. Les cellules de texte citent un poème de Thomas Haynes Bayly (1797-1839). À la nuit tombée, il heurte un navire de gros tonnage appelé Rebecca, un trois-mâts. Il reprend connaissance, enchaîné au grand mât, alors que les marins viennent le contempler, pour répondre aux exhortations du capitaine du Rebecca. le capitaine souhaite conserver Hellboy à bord pour le revendre par la suite comme bête de foire, certains marins souhaitent le passer par-dessus bord pour éviter qu'il n'attire le malheur. L'un d'eux ayant tiré son couteau pour faire obéir le capitaine, celui-ci l'abat froidement sur place.

Un bref échange débute entre le capitaine et Hellboy. Ce dernier se souvient de ses aventures sous-marines (dans Strange places) et de sa rencontre avec des sirènes. La nuit tombée, un jeune garçon vient donner un peu d'eau à Hellboy, toujours enchaîné au mat. Il s'appelle William et est accompagné d'un chien appelé Kip. Il lui dit que les marins pensent qu'il est le diable en personne. Une femme vêtue d'une longue robe noire fait son apparition sur le pont et explique le but de cette expédition dont elle est la responsable : trouver une créature marine légendaire de type serpentin. Elle appartient à la confrérie Heliopic de Raa, et a pu recueillir des informations d'une momie retrouvée dans la cité perdue de Tunungar.

Après la lecture des 2 premiers tomes de cette collection, le lecteur sait déjà qu'il va découvrir une histoire complète, s'insérant dans l'histoire personnelle d'Hellboy (avant qu'il ne finisse en Enfer), et rendant hommage à des auteurs significatifs dans l'imaginaire de Mike Mignola. Il détecte par exemple le principe d'un capitaine un peu obnubilé par sa mission de trouver une créature marine : le capitaine a beau ne pas être nommé, il est difficile de ne pas penser à Achab, le capitaine du Péquod, dans Moby Dick (1956) d'Herman Melville. Hellboy lui-même déclare s'appeler Ishmael au garçon, avant de donner un prénom plus passepartout (Joe). Pourtant, l'hommage reste assez distancié, car il n'est pas possible de reconnaître Grégory Peck dans le capitaine de la Rébecca, ou de retrouver la métaphore spirituelle de défi à Dieu. D'ailleurs, le capitaine de la Rébecca est plus préoccupé par la vente d'Hellboy comme bête de cirque, que par le monstre que souhaite retrouver la Dame. de même le clin d'oeil à Hodgson se limite à prénommer le jeune garçon William, sous-entendant que son imagination sera décuplée par ce dont il est témoin.

Comme dans les 2 premiers tomes, l'intrigue est assez maigre et se laisse deviner facilement. Hellboy se retrouve embringué dans une chasse au monstre voulue par quelqu'un d'autre et il devra faire usage de sa force pour assurer la sécurité des innocents. Comme à son habitude, Mike Mignola s'amuse avec son lecteur en ne lui donnant pas vraiment ce qu'il attend. Pour commencer, Hellboy passe une petite moitié du récit, enchaîné au grand mât, étant réduit à l'impuissance ne pouvant que discuter avec les personnes qui viennent le voir. Ce parti pris déstabilise un peu le lecteur qui s'attendait à ce qu'Hellboy occupe le premier rôle et soit le moteur de ces aventures. Ensuite les coscénaristes racontent leur histoire en un laps de temps très réduit, environ 36 heures. Ils ont recours à un retour dans le passé, lorsque la Dame raconte comment elle en est arrivée à prendre la tête de cette expédition. Son histoire évoque les récits d'aventure à destination de jeunes hommes, datant de la fin du dix-neuvième siècle ou du début du vingtième, avec cette cité perdue, et cette momie pas tout à fait morte.

Le lecteur constate également que Mike Mignola fait le nécessaire pour rattacher proprement ce récit à l'univers partagé d'Hellboy qu'il a développé à la fois au travers de sa série, mais aussi des séries dérivées consacrées au BPRD, à Abe Sapien, ou encore à sir Edward Grey. Ainsi la Dame fait partie de la confrérie Heliopic de Raa. le lecteur sourit, amusé que cette fraternité compte parmi ses effectifs, une personne de sexe féminin. le créateur d'Hellboy prend également soin de situer cette aventure par rapport aux autres, et donc dans la continuité de son personnage. le lecteur se laisse donc gentiment emmener dans cet hommage à plusieurs créateurs, avec une histoire qui prend son temps et un enjeu très convenu. Il sourit à nouveau quand il découvre que les auteurs sont allés jusqu'à inclure une incantation Heca emen raa, qui est répétée à plusieurs reprises, et à rattacher leur légende d'un serpent de mer, à celle de l'exclusion d'Ève et Adam, du jardin d'Éden par l'entremise d'un serpent.

Outre le fait de retrouver Hellboy pour une aventure de plus, ce tome procure également le plaisir de retrouver un artiste assez rare, auteur de MonsterMen and Other scary stories, et ayant dessiné les aventures de Prince Valiant de 2004 à 2012. le lecteur remarque tout de suite la caractéristique principale de ses dessins : l'utilisation de petits traits fins et secs, pouvant servir à conférer une texture à une surface, ou de traits fins et secs plus longs courant en parallèle pour rendre compte de l'ombre portée. Ce mode de finition évoque les gravures du dix-neuvième siècle en plus frustes. Il confère tout de suite une apparence ancienne et sans âge à la narration visuelle. Il confère aussi une belle texture de bois au navire. le lecteur voit sur chaque page le plaisir que l'artiste prend à représenter la silhouette du navire, les mâts (le mât de misaine, le grand mât, le mât d'artimon, le mât de beaupré), les haubans, les barres de flèches, les poulies, les cordages, les planches du pont, le bastingage. Dans les 2 premières pages, il peut voir les carcasses de navire éventrées, avec les structures en bois apparentes.

Le lecteur plonge dans une évocation de la marine à voile du dix-neuvième siècle, un peu simplifiée, mais très convaincante. Il en va de même pour la chaise roulante sur laquelle est transportée la momie, ou le phonographe bricolé au travers duquel elle s'exprime. Dans différentes séquences, il repère d'autres éléments évoquant les grandes explorations du dix-neuvième siècle : les fouilles archéologiques dans la cité perdue de Tunungar, le couple de lion dans la jungle. Les dessins rendent également bien compte des éléments plus macabres comme un brouillard inquiétant, un visage si pâle qu'il en est presque blanc, un corps décharné, une mer démontée, une multitude grouillante de monstres marins. Comme à son habitude, Dave Stewart réalise une mise en couleurs en retenue et sophistiquée. Il choisit une teinte dominante pour chaque scène et il joue parfois du contraste entre cette teinte, et celle différente d'une unique case sur la planche, évoquant le passé. Il donne l'impression de n'utiliser que des aplats unis de couleur, mais en y prêtant attention, le lecteur constate qu'il joue de petites variations dans les nuances pour rehausser discrètement quelques reliefs dans les formes détourées.

La combinaison des dessins un peu raides de Gary Gianni et des couleurs en apparence ternes de Dave Stewart aboutit à une narration visuelle qui évoque la forme d'un conte du temps passé, mais encore porteur de sens pour un lecteur contemporain. Ce n'est pas une impression facile à concrétiser, sans sembler être factice ou forcée. le lecteur s'immerge dans cette évocation d'un passé teinté d'onirisme et découvre un hommage à Moby Dick et William Hope Hodgson, au sein d'une histoire entièrement intégrée à l'univers si particulier d'Hellboy. Malgré tout, ce récit ne présente pas l'épaisseur thématique de celui d'Herman Melville, et l'intrigue reste un peu trop linéaire pour accaparer l'attention du lecteur. Il reste un bon moment de lecture à la saveur inimitable, capable de transporter le lecteur dans un endroit fantomatique.
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