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Critique de Meps


Meps
10 septembre 2022
Après Yourcenar, dans la catégorie, "je ne connais que lui mais bon sang pourquoi je ne l'ai pas encore lu ?", voici André Gide. Avec la circonstance aggravante que c'est un Prix Nobel et les meilleurs savent.

Est-ce que je vais vous ressortir la crainte de l'Académisme comme raison d'une lecture si tardive... ? Peut-être... Alors que si j'avais réfléchi un peu à ce que je savais (homosexualité assumée à une époque où le coming out n'était pas trop in), j'aurais pu me douter que le style avait peu de chances d'être totalement rigide.

Bref, les challenges comme souvent (y compris mon Nobel) m'ont poussé à cette lecture et j'en suis fort aise. Après le contexte de ma lecture, retraçons brièvement le contexte du livre. C'est un roman "de la maturité", puisqu'il l'écrit passé 50 ans, au sommet de sa gloire et en déclarant que c'est son premier roman (pas gentil pour les autres, notamment Les Nourritures Terrestres qui lui valut sa renommée dès l'âge de 26 ans).

On sent en tout cas un auteur totalement à l'aise et qui mène une narration à plusieurs points de vue, avec un livre dans le livre, des extraits d'un journal d'un personnage principal, et un narrateur à la première personne qui apparaît subrepticement, le plus souvent comme guide de lecteur, mais parfois comme suiveur impuissant des personnages. J'ai trouvé cette narration particulièrement drôle et réjouissante, elle a allégé toute la lecture.

On peut se dire déçu du sujet et de l'histoire en elle-même, qui ne sont pas ébouriffants. L'auteur semble vouloir s'intéresser à plusieurs problématiques (l'amitié, les premières amours, les vieux couples, le suicide) et semble y jeter successivement certains des personnages, sans forcément chercher une cohésion, et en plus en nous faisant le coup de l'auteur qui se laisse guider par la réalité. On ne se fera pas avoir si facilement... mais on prend plaisir aux débats sur l'écriture du réel ou sur sa réinvention, et on n'oublie pas que Gide a été contemporain dans sa jeunesse d'un certain Zola et on comprend qu'il se plaise à déconstruire le naturalisme.

Je ne passerais pas sous silence un aspect qui ne peut que choquer : un inceste oncle-neveu, tranquillement décrit, sans envisager une seconde le côté délictueux de la chose. Gide évite les détails scabreux mais ne laisse tout de même planer aucun doute sur la réalité de la chose. Il l'aborde tellement naturellement que j'ai mis du temps à m'en "offusquer" (tranquillisez-vous je n'appelle pas au boycott !) et cela m'a fait me demander deux choses: quelles raisons ont amené Gide à évoquer ce genre de relations et pourquoi ai-je mis autant de temps à le relever ? Pour la première, je pense que l'époque des années folles permettait plus de libertés dans l'imagination et Gide cherchait peut-être à tester les limites de son lectorat, lui dont l'homosexualité assumée avait du lui valoir déjà certains jugements de ses contemporains. Quitte à être mal vu, autant aller jusqu'au bout ? Ce n'est qu'une hypothèse que je vous livre là. Pour la deuxième, je pense que le talent de Gide permet d'installer doucement l'histoire et de faire accepter comme naturel ce genre d'amour oncle-neveu. Pour éviter qu'on ne renchérisse sur la pédophilie, précisons tout de même que le neveu est majeur (tout juste bachelier mais on peut le supposer) et consentant voire lui-même en demande (même si l'influence de l'ascendance ne peut qu'interroger sur le consentement). Tout cela n'a pas gâché mon plaisir de lecteur, mais m'a quand même poussé dans mes retranchements.

Vous vous en doutez après cette critique, originalité de la narration oblige, cela me donne bien envie de remettre le Gide et le couvert pour une prochaine lecture... histoire de déguster certaines nourritures terrestres ?



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