Ainsi en advient-il des héros. Leur geste dure et, repris par la poésie, par les arts, devient un continu symbole. C'est là ce qui fait que tantale reste éternellement assoiffé, que Sisyphe roule sans cesse, vers un inatteignable sommet, la lourde pierre sans cesse retombante des soucis qui le tourmentaient, du temps qu'il était roi des Corinthe.
Car sache que, dans les Enfers, il n'est pas d'autre châtiment que de recommencer toujours le geste inachevé de sa vie.
Ce fil sera ton attachement au passé. Reviens à lui. Reviens à toi. Car rien ne part de rien, et c'est sur ton passé, sur ce que tu es à présent, que tout ce que tu seras prend appui.
" J’ai l’amour exclusif du divin. Le gênant, voyez-vous, c’est de ne point savoir où commence et où finit le dieu. J’ai beaucoup fréquenté Léda, ma cousine, Pour elle, dieu s’était caché dans un cygne. Or Minos avait compris mon désir de lui donner comme héritier un dioscure. Mais comment distinguer ce qui peut rester d’animal dans la semence même des dieux ? Si, par la suite, j’ai pu déplorer mon erreur - et je sens bien que de vous en parler ainsi enlève toute grandeur à l’affaire -, mais je vous assure, ô Thésée, qu’au moment même, c’était divin. Car sachez que mon taureau n’était pas une bête ordinaire. Poséidon l’avait fourni. On devait le lui offrir en holocauste ; mais il était si beau, que Minos ne put se résoudre à le sacrifier. C’est ce qui m’a permis, par la suite, de faire passer mon désir pour une vengeance du dieu. Et vous n‘ignorez pas que ma belle-mère, Europe, c’est un taureau qui l’avait enlevée. Zeus se cachait en lui. De leur hymen naquit Minos lui-même. C’est ce qui fait que les taureaux ont toujours été tenus en grand honneur dans sa famille. Et quand, après la naissance du Minotaure, je voyais les sourcils du roi se froncer, je n’avais qu’à lui dire : Et ta mère ? »