« Je peux pas. On ne peut pas ôter complètement à une femme le droit de procréer. Tom et moi nous voulons ce bébé, il fait déjà partie de nous. Nous l’aurons. »
Comme illuminée par une révélation, la planneuse familiale arracha un sourire presque engageant à son visage osseux.
« Ahhh ! Là, c'est autre chose. Il serait bien sûr inhumain d'éliminer, de bloquer arbitrairement les fonctions biologiques de la femme. Ce serait nier la nature, alors que notre action se rapproche au contraire au plus près du fonctionnement naturel, surtout en termes de sélection, pour le systématiser jusqu’à la perfection. Il s'agit, et je pensais que vous l'auriez compris, de privilégier la survie des plus aptes en leur garantissant l'environnement le mieux adapté à l’expression de leur potentiel. Et c'est sur cette unique question de l'environnement que votre dossier achoppe.
La veille, le Congrès avait rejeté l’adhésion des États-Unis à la toute nouvelle Société des Nations, mais nos visiteurs n’en avaient cure. Ils avaient posé très naturellement leur vaisseau sur la pelouse de la Maison Blanche et avaient demandé audience au Président Wilson. Bien sûr, ils s’arrangeaient pour masquer leur présence à tous ceux qu’elle ne concernait pas. Comment ? Je ne l’ai jamais compris, en termes techniques. Mais je venais de voir suffisamment de mes contemporains s’entre-tuer sur fond de fantasmes pour savoir que l’esprit humain était toujours prêt à se laisser influencer, en masse.
Nous étions alors le 20 novembre 1919.
" Sésame, ouvre-toi !"
Jésumarijoseph ! Voilà que j'entends des voix maintenant ?
"Sésame, ouvre-toi à moi !"
D'abord, moi, c'est Suzanne.
[Suzanne on line]
Au seuil de sa disparition, l'humanité vécut enfin le siècle spirituel qui lui avait été promis longtemps auparavant. La fin de l'homme semblait avoir été inscrite dans son âme autant que dans ses gènes. [La dernière marche]
Suivre avait toujours été une vocation fertile pour la plupart des humains. Mais chez ceux qui préféraient être suivis, le terrain s’ensemençait d’une morale imprudente. On est le chef, on se croit fort et tout permis. On s’affranchit de la règle commune qui veut que le prochain mérite un minimum de respect si l’on souhaite éviter de s’en prendre une par surprise. Ainsi délestée de pesanteurs éthiques, l’ascension se trouve facilitée, mais la chute n’est jamais loin.
[La dernière Marche]
Encore le coup de la mort et de l’après, se dit l’habitué qui referme le livre, persuadé que rien de neuf ne pourra être dit sur le sujet. Et il a raison, bien sûr. Rien, ni les sciences médicales ni les témoignages les plus autorisés, ne pourra nous renseigner de façon probante sur l’inconnaissable. Quelle que soit ta volonté de croire ou ne pas croire, lecteur chéri, ce qui nous attend au bout du tunnel nous échappera toujours, jusqu’au moment ultime où il nous sera donné de savoir… définitivement. Avant cet instant, nous ne sommes pas équipés pour comprendre. Bien trop vivants. Même si les morts pouvaient parler, ils n’auraient rien à nous dire. Passés qu’ils sont dans un monde autre, affranchis des sensations comme des convictions, libérés de nos pulsions et de nos ambitions, ils vivent déjà un autrement indicible que ni les mots ni les rêves ne peuvent nous traduire. Ou alors, rien, ils ne vivent rien, fini !
Elles fonçaient vers nous à la queue leu leu, comme une couvée de vilains petits canards sidéraux, suivant leur éclaireur de mère. [startrash]