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Critique de vibrelivre


Le grand troupeau
Jean Giono
Folio, 252p


2020 est l'année Giono. Il y a cinquante ans que cet auteur, et quel auteur, est mort.
Je lis donc une de ses oeuvres, le grand troupeau, un roman en trois parties sur la première guerre mondiale, écrit en 1931.
le roman est original en ce qu'il juxtapose, plutôt brusquement, les scènes qui se passent au front, de Verdun jusqu'en Flandres, Bailleul, le mont Kemmel, et celles qui ont lieu à l'arrière, en Provence.
Ce n'est pas un roman d'action. Presque tout est descriptif et lyrique. Il y avait du bel air dans cette matinée : un air jaune tout doré, à demi-chaud, à demi-froid, et il avait de petits gestes, si nerveux à la fois et si légers qu'on se sentait caressé comme de chatouilles. Tout vit, agit, ressent, est doté d'une âme.
Ce n'est pas un roman daté. C'est une dénonciation de la guerre, qui détruit, place le monde dans l'attente, est contre-nature. « l'habitude, l'habitude pour ça ! Non, ça peut pas venir, c'est trop contre nature, trop. » C'est un hymne à la vie, à la chair sensuelle, à la beauté des paysages, au bonheur primitif.
Son ouverture est épique et métaphorique. Un immense troupeau de moutons dévale la montagne. Il n'y a pas assez de bergers pour le conduire. Les autres ont été appelés à la guerre. Il faut descendre. Grondements, piétinements, poussière en feu, souffrance, morts. Un berger donne son bélier à soigner au grand-père d'Olivier, Chabrand, ce tout jeune homme qui est un des protagonistes du roman, dont la famille porte des valeurs gioniennes : Tout ça c'est bien ressemblant à ces Chambrand, beaux parleurs, siffleurs, chanteurs, regardeurs de beaux regards, si peu attentifs aux sous et aux billets et tant attentifs à la bonne manière. Il y a aussi Madeleine, son amoureuse, Joseph , le frère de celle-ci, et Julia, sa femme au corps épanoui, qui veut exulter. le narrateur est implicite, témoin des événements.
Quand la guerre dévaste, la nature -la forêt si belle- protège, et les gens angoissés, dont la détresse désorganise l'école et fait passer les enfants à naître, se rassemblent, pour la veillée d'un corps absent, pour l'amour, pour qu'on se sente humain.
La guerre, ce sont les corbeaux, les rats, la boue, le feu, les morts, les chairs en lambeaux, les corps sur lesquels on marche, la confusion, les cauchemars, la peur, la fatigue, les hommes qui sont comme des bêtes : un se terre comme une bête.Joseph y perd son bras, Olivier se mutile. Casimir est devenu un homme gras avec une jambe en moins. Avant c'était un beau laboureur maigre et dur comme une vieille fève.
La guerre prend tout : On n'a jamais eu l'habitude d'être commandé par les autres, ici. Alors les hommes, alors le blé, alors les moutons, alors les chevaux, les chèvres, tout alors, il lui faut tout !
A l'arrière, la nature est indifférente à la violence humaine. Toute la nature couverte de blés mûr est là, rousse comme du beurre dans le grand bol bleu des collines.
Les lettres vont de l'arrière au front, et du front à l'arrière, précaires, décalées, qui font du bien, qu'on désespère de jamais recevoir, porteuses de mauvaises nouvelles. Car la vie continue, à la guerre et à l'arrière de la guerre.
A la fin du roman, un garçon- oui, c'est bien un homme il a tout, dit son arrière grand-père qui lui a palpé la figue d'entre-jambes- rentre dans le grand troupeau des hommes. le berger, venu voir son bélier, lui fait les présents des pâtres, le vert de l'herbe, les bruits du monde, le soleil, tandis que l'étoile du berger monte dans la nuit.
Giono est un pacifiste viscéral. La guerre, c'est que du mauvais. Il le dit en 31, quand on ne sait pas encore que la suivante est proche.
Cependant, lire un roman de Giono, c'est entrer en poésie panique. On aura vu que la langue est orale, reprenant le parler, et même leur langue particularisée, des hommes simples, les paysans, les soldats, un langage qui vit, dans les ressauts d'un rire plein de colère et de détresse : Et tout Artaban que tu es, si je te secoue, tu perds tes puces pour dix ans, mais surtout elle regorge d'images plus belles les unes que les autres : C'est mûr comme la pêche qui tremble sous une abeille.
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