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Jean Giono choisit d'évoquer la guerre en n'en parlant pas. Sur le front, elle s'étale comme un gigantesque carnage, anime les crânes dénudés et redonne vie aux cadavres recouverts de mouches noires ; à l'arrière, ses échos se font entendre à travers la chair avide des femmes esseulées. de l'un à l'autre, le grand troupeau des bêtes chemine -la faute au meneur !


Jean Giono nous fait comprendre les pertes engendrées par la guerre en abaissant l'harmonie qui unit son peuple rural à la terre et aux animaux. L'amour, la faim et le travail ne s'évoquent plus qu'en termes d'appétits morbides voués à la destruction. A la manière des surréalistes, il brandit ses cadavres dans des visions hallucinatoires. Il fait connaître la guerre à ceux qui l'ignorent dans des éclairs de lucidité foudroyants. La technique est d'autant plus efficace que l'écriture de Giono ménage une part considérable de mystère. Ses constructions semblent correctes mais en les observant bien, on relèvera des ellipses ou des attributions étonnantes qui laissent de côté, à moins qu'elles n'induisent le malaise. le Grand troupeau a été amputé dès l'achèvement par son auteur pour n'en garder que l'essentiel, dans une volonté d'épuration et de franchise qui semble hériter de la brutalité des événements. Et malgré tout ça, Jean Giono reste en-deçà de la réalité. Sa manière de surprendre devient rapidement une ritournelle aussi désagréable que la violence à démasquer, et le mystère frôle souvent l'opacité.


C'est à ce moment-là qu'on peut le mieux apprécier le chant rural du Grand Troupeau. Mes références champêtres sont réduites : il me semble pourtant retrouver les ambiances de Georges Sand et de ses romans ou les récits de ceux de mes aïeux qui ont vécu dans la montagne avec les bêtes et les champs. C'est une mélancolie que distille alors Jean Giono, comme s'il avait compris dès la fin de la guerre qu'il ne serait plus possible de vivre comme les paysans de son histoire. La guerre ne serait pas vraiment la responsable mais plutôt un symptôme parmi tant d'autres indiquant la perte des valeurs propres à une communauté et à une époque dépassée. le bélier devient alors le représentant médiatique de l'ancien temps, brandi comme un dieu à l'usage des nouvelles générations. le Dieu de Justice pourrait enfin s'affirmer… Ni optimiste, ni pessimiste, Giono semblerait plutôt soumis au temps, à ses variations et aux peuplades qui subissent et réinventent à chaque fois les artefacts de leur passé. Lire le Grand troupeau aujourd'hui confirme cette intuition que nous avançons toujours en sacrifiant une certaine forme de bonheur primitif.

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De meurtrissures en atrocités, voilà ce que raconte ce livre qui décrit avec des mots simples, la Grande guerre : la douleur innommable des soldats confrontés à la faim, à la soif, au froid, celle du troupeau des caprins, tout en parallèle, qui doit quitter l'alpage faute de bergers appelés à combattre, la douleur aussi forte des civils, celle des paysans restés au pays, qui doivent affronter la perte d'un être cher, la folie qui frappe , qui gagne peu à peu les plus sensés.
C'est fort, c'est vrai, un témoignage d'un romancier qui a vécu cet enfer.
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« le Grand troupeau » mêle à la tradition provençale des premiers écrits les souvenirs de guerre de l'auteur. Amalgame étrange, mais pas étonnant : le titre l'explique : la veille de la mobilisation, les bergers doivent redescendre des alpages avec leurs bêtes, pour pouvoir prendre leur place dans la grande tragédie qui se prépare : « le Grand troupeau » c'est autant celui qui descend de la montagne, que celui qui va se faire tuer dans les champs de bataille de la Champagne, des Ardennes ou de la Somme.
Dans sa préface aux « Carnets de moleskine » de son ami Lucien Jacques, Jean Giono écrivait :
« Nous « avions fait » les Eparges, Verdun, la prise de Noyon, le siège de Saint-Quentin, la Somme avec les Anglais, c'est-à-dire sans les Anglais, et la boucherie en plein soleil des attaques Nivelle au Chemin des Dames »
Il ajoute : « J'ai vingt-deux ans et j'ai peur »
A la lecture de ces faits de guerre, on se rend compte que Giono n'était pas un « planqué » : aligner les Eparges, Verdun, la Somme et le Chemin des Dames, c'est le genre d'itinéraire qui vous marque pour la vie – à condition d'en revenir vivant.
Giono a donc été un des moutons de ce « grand troupeau ». Et c'est cette étrange et douloureuse transhumance qu'il nous raconte.
Le roman – est-ce bien un roman ? - est construit bizarrement : après une majestueuse entrée en scène avec ce troupeau qui descend des alpages, les scènes de guerre alternent avec les scènes d'arrière-front, au loin, au pays. le contraste entre ces scènes est voulu : elles se répondent d'écho en écho, comme les sonneries aux morts sur les champs de batailles. Dans les fermes désertées par les hommes, les femmes font le travail avec courage et endurance, et le soir retrouvent leur solitude dans le grand lit où la place de l'homme reste béante. Là-haut, on pense aussi aux femmes, mais la guerre est là qui occupe les corps et les esprits : Giono ne fait pas l'historien, (un livre n'y suffirait pas) mais il raconte la guerre à hauteur d'homme : la boue, le sang, la mort, l'amitié, la peur… Tout ce que vous avez vu et lu chez Genevoix, Dorgelès, Barbusse, Chevallier et tant d'autres, y compris chez Remarque et Junger, vous retrouverez tout ici, Giono ne cache rien, pas même les mutilations ni les désertions. Mais c'est pour mieux dénoncer la guerre et ses atrocités : Giono est un pacifiste viscéral (on peut le comprendre vu les endroits où il est passé !).
Et Giono reste romancier. Et Giono reste poète
« le Grand troupeau » est un poème de la terre, de l'eau de l'air, du feu ; le fer y devient un cinquième élément qui remplit le ciel d'ailes meurtrières, et les griffes de la mitrailleuse grattent les bords des trous où se réfugient les proies humaines… Cependant, les couleurs du printemps, l'éblouissement de l'été, le tintamarre du vent d'automne continuent à saouler de vie ceux qui restent fidèles à la voix de Pan. Giono choisit pour son dernier chapitre, d'éloigner les terreurs de l'Apocalypse et de mettre dans la bouche du vieux berger la salutation qui accueille l'enfant nouveau-né dans le monde de la paix, celui où vivent réconciliés les plantes, les bêtes et les hommes (Janine et Lucien Miallet, présentation du « Grand troupeau » dans la Bibliothèque de la Pléiade).
Un Giono indispensable (comme beaucoup de livres de Giono).
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J'ai lu avec intérêt les publications au sujet du " Grand Troupeau ", que je place parmi les plus importants , avec "la Peur" , "Ceux de 14 ", " à l'Ouest rien de nouveau " , " la Main coupée " et " Orages d'acier " .
Certaines notations sont quand même bien sévères , mais elles illustrent une position et cette position est étayée : sans l'approuver , je la respecte .
Bien sûr , on peut penser que ce livre n'est pas bien bâti ( je ne suis pas certaine que l'autocritique de Giono soit à prendre au pied de la lettre : peut-être ce Grand Troupeau ne le satisfaisait-il pas tout simplement car son horreur était inépuisable ? ) , c'est une chose dont on peut débattre , mais au final , ne resteront que les goûts personnels .
Toujours est-il que les grands moments du livre , le parallèle entre les deux troupeaux ( ce qu'il me semble , c'est quil faut de la viande ), la vie de ceux qui sont restés , tout cela est dépeint avec cette merveilleuse écriture , celle qui nous éblouissait de soleil , celle qui nous remplissait le nez de poussière sur les chemins du Hussard .
Là , tout au long du livre , j'ai senti les tripes qui pourrissaient , la sueur des moissonneuses, j'ai entendu grincer les articulations des vieux qui quittaient la treille pour rentrer les blés , j'ai eu les doigts collants de sang et de sanie , j'ai entendu hurler à la mort , j'ai vu arriver le porteur du télégramme .
Mais , une fois encore , tout cela n'est question que d'interprétation personnelle .

Par contre " grand de la littérature régionale " me semble , pour le coup bizarre : qu'est-ce que la littérature régionale ?
Un vague truc accompagné au biniou ?
Une envolée lyrique à la Philéas Lebesgue, le poète en sabots ?
Ou un superbe texte écrit dans une langue régionale , comme a pu le faire Frédéric Mistral ?

Pour moi , Giono , qu'on adhère ou pas à ses positions , que ses écrits soient plus ou moins au goût du lecteur ( ainsi , je n'aime pas sa veine panthéiste , elle m'ennuie ) est au rang des plus grands écrivains de notre littérature et un des plus grands prosateurs en langue française .
Au motif que Mauriac a peint la société du bordelais , que Vialatte parlait du haut de sa Montagne ,que Maupassant a peint la vie du Pays de Caux , en ont-ils pour autant écrit des romans régionaux ?
Eh bien , Pagnol , Albert Cohen ou Giono ont situé de même leurs oeuvres dans des régions très précises , certes , employé des tournures de langage particulières , décrit les paysages de la région où se situait leur roman , mais leur travail atteint une dimension universelle .
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. Les commémorations des deux guerres mondiales se superposant cette année, j'hésite même à allumer la télévision, les guerres actuelles suffisent !
Mais c'est un grand livre et j'aurais eu bien tort de le bouder.
Un grand livre pacifiste qui oppose la vie des hommes et des femmes des Alpes du pays de la Durance à la boucherie qui se déroule à Verdun et sur les autres champs de bataille de la guerre de 14.
Le Grand troupeau est il l'armée qui a réuni au début d'Aout 14 tous les hommes du village ou est-ce cette transhumance anticipée qui fait descendre de l'estive toutes les brebis derrière le vieux berger. Dans cet été si beau, les anciens décèlent la pourriture, sur une feuille de vigne, dans la Durance. Giono n'oublie pas la nature, les animaux. Ce bélier mouton-maître, qui perd son sang, anticipe la saignée de la guerre.
La vie est l'affaire des femmes, des jeunes surtout, qui sentent leur sang chaud après le départ de leurs hommes et qui fauchent, labourent et sèment à leur place.
Allers et retours entre les Alpes et le front. Chez ces hommes, des paysans pour la plupart, pas d'héroïsme inutile, mais une grande fraternité quand Joseph ou Olivier réconfortent leurs camarades blessés, leur parlent du village au moment où la vie s'écoule en blessures terribles. Attentif aussi à la nature, à un arbre blessé, un lézard qui vient d'éclore, à la fatigue d'une mule ou d'un cheval. Jamais de paroles cocardières, ni de vain patriotisme. Fatalité d'un combat dont jamais le sens n'est explicité. Pas de rébellion non plus. Les hommes, sont ce grand troupeau qu'on mène au combat, ordres qui n'admettent pas de discussion. le seul Allemand rencontré, un prisonnier, est un brave homme.
C'est un hymne à la nature, à la vie, beauté des Alpes. Beaucoup de descriptions. Giono nous fait voir la lumière, la couleur du ciel. Il nous fait sentir les odeurs, celles agréables de la campagne mais aussi celles écoeurantes du champ de bataille, des blessures qui suppurent, des maladies.

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Les terres du sud et du monde rural nourrissent la série romanesque panthéiste de Jean Giono. Les protagonistes issus d'une ferme de Haute-Provence voient le Grand Troupeau qui descend de la montagne. La Nature est une force. Et pourtant, la Nature est en souffrance.

La guerre ( la der des der) fait des ravages mais cette guerre, bien qu'omniprésente, est reléguée au second plan. Elle n'est que très peu décrite hormis la scène de l'obus et le chapitre intitulé comme le titre, « le Grand Troupeau ».
Giono s'attarde sur la vie à la ferme et longuement sur des descriptions d'arbres morts. La nature envahit les maisons abandonnées. La terre ensevelit les hommes. La nature est aussi destructrice que créatrice ( car elle génère de la souffrance). Les corps souffrent au front comme à l'arrière.

Ce roman à thèse s'inspire de l'Apocalypse. Giono, qui a participé à la guerre, en témoigne, mais en pacifiste convaincu, il dénonce la guerre en la présentant comme le mal absolu, comme une épidémie qui contamine absolument tout. La violence imprègne la totalité du roman. Elle ne permet à aucune architecture, à aucune structure, de subsister ; la guerre étant par essence chaotique.

Les soldats sont comparés au grand troupeau du premier chapitre qui descend de la montagne. le chapitre « le Grand troupeau » nous présente les soldats comme « l'assemblée des moutons » (p.111). Et ce chapitre apparaît comme une réécriture du premier chapitre, non plus avec des animaux qu'on humanise, mais avec des hommes, bestiaux. Les soldats suivent leurs capitaines comme les moutons suivent leurs bergers.
Le roman se construit sur cette vision du troupeau qui monte et qui descend de la montagne ; comme une absurdité ; c'est un flux qui ne s'arrête pas, qui laisse les animaux exténués, mourants, sur le bord de la route, et les cadavres, loin derrière, à l'arrière.
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Depuis quelques mois j'ai lu plusieurs des livres de Nicole Lombard et ses références à Giono sont permanentes, elles donnent nécessairement envie de le lire ou le relire.
Le Grand troupeau écrit en 1931 est de ces envies là.

J'étais un peu sceptique avant ma lecture, mes lectures de Giono antérieures ne cadraient pas bien avec un récit de guerre.
Et bien autant pour moi, c'est certainement un des plus beau roman sur la guerre que j'ai lu, avec une approche tellement singulière qu'elle va restée je pense inoubliable pour moi.

Août 14, les hommes appelés au combat quittent leurs fermes, leurs champs, leurs femmes et leurs enfants.
Joseph marié à Julia est un des premiers à partir, suivra Olivier amoureux de Madeleine. Restent à la ferme pour faire les moissons et les vendanges que deux femmes et un papé.
Bientôt les récoltes et le bétail seront aussi réquisitionnés.
Bien sûr lors du retour du front rien ne sera simple, amputation, blessure volontaire vont marquées à jamais hommes et femmes.
Simple me direz-vous, alors qu'est-ce qui fait de ce roman un très très grand livre ?
Tout d'abord un scène d'ouverture absolument fulgurante, un énorme troupeau de moutons traverse vallées et villages avec seulement deux bergers tous les hommes ayant été appelés, et ce troupeau impressionne « tout l'air tremblait et on ne pouvait plus parler », métaphore saisissante des hommes que l'on conduit à la boucherie que sera la guerre.
« Parfois, ça devait s'arrêter là-bas, au fond des terres où s'était perdu le berger… L'arrêt remontait le long du troupeau, puis ça repartait avec un premier pas où toutes les bêtes bêlaient de douleur ensemble. »

Ensuite Giono va tout au long du roman nous faire passer de l'arrière provençal au champ de bataille mais sans jamais être précis sur les lieux, sur les dates. Ce flou voulu rend le récit atemporel et lui confère une force supplémentaire.
Giono le pacifiste ne se perd pas en discours inutiles, ses descriptions du chaos sont bien suffisantes, il nous fait sentir en quelques phrases l'angoisse du soldat, les gestes de Joseph auprès d'un blessé disent tout de la peur, de la douleur. Pas de scènes héroïques, pas de descriptions de bataille. Les hommes seuls importent. La folie guette parfois.
Giono peint ce monde rural dévasté par le départ des hommes et les annonces de morts et de blessés. Une scène très forte m'a particulièrement remuée celle d'un hommage rendu, une cérémonie « au corps absent » car l'homme n'a jamais été retrouvé.
Les femmes qui vont empoigner le travail des hommes mais qui la nuit venue cherchent dans le lit la marque de l'absent « Elle vint découvrir le grand lit. Il en a tellement l'habitude que la place du Joseph est encore formée et que, dans le blanc des draps, ça fait comme un homme d'ombre couché là ».
Il faut être un grand romancier pour parvenir à teinter un tel récit d'éclats de poésie.
« Il n'y aurait qu'à ouvrir la fenêtre, tout deviendrait clair. Les amandiers et sur le blé ces ombres rondes comme des pastèques. Et ce vent frais tiré de l'eau. Les tulipes et les hirondelles, ces fleurs d'amandier qui tombent. »
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Jean Giono n'a pas aimé la guerre et il utilise son talent pour le faire savoir et faire partager son dégoût pour ce qu'il considère comme une lèpre qui ronge l'humanité. Il choisit de laisser parler ses compagnons avec leurs mots et leur tempérament pour exprimer le désastre de ces hommes écrasés,broyés par leurs visions terribles. C'est le texte d'un pacifiste encore abasourdi par ce qu'il a vécu des Eparges au Chemin des Dames, en passant par Verdun, où les hommes de son régiment sont tombés en masse. de retour en Haute-Provence, il a tenté de repousser leurs fantômes avec ses mots.
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Un roman typique de l'auteur, poétique, mettant en scène des personnages bien trempés, originaux et ancrés dans la terre et la vie. J'ai néanmoins trouvé certains passages difficiles à lire, car ce récit traite sans détour d'un sujet pénible : la Première Guerre. On y suit le parcours des hommes et des femmes aussi bien au front qu'à l'arrière. Encore un beau livre, puissant et touchant.
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Le grand troupeau
Jean Giono
Folio, 252p


2020 est l'année Giono. Il y a cinquante ans que cet auteur, et quel auteur, est mort.
Je lis donc une de ses oeuvres, le grand troupeau, un roman en trois parties sur la première guerre mondiale, écrit en 1931.
le roman est original en ce qu'il juxtapose, plutôt brusquement, les scènes qui se passent au front, de Verdun jusqu'en Flandres, Bailleul, le mont Kemmel, et celles qui ont lieu à l'arrière, en Provence.
Ce n'est pas un roman d'action. Presque tout est descriptif et lyrique. Il y avait du bel air dans cette matinée : un air jaune tout doré, à demi-chaud, à demi-froid, et il avait de petits gestes, si nerveux à la fois et si légers qu'on se sentait caressé comme de chatouilles. Tout vit, agit, ressent, est doté d'une âme.
Ce n'est pas un roman daté. C'est une dénonciation de la guerre, qui détruit, place le monde dans l'attente, est contre-nature. « l'habitude, l'habitude pour ça ! Non, ça peut pas venir, c'est trop contre nature, trop. » C'est un hymne à la vie, à la chair sensuelle, à la beauté des paysages, au bonheur primitif.
Son ouverture est épique et métaphorique. Un immense troupeau de moutons dévale la montagne. Il n'y a pas assez de bergers pour le conduire. Les autres ont été appelés à la guerre. Il faut descendre. Grondements, piétinements, poussière en feu, souffrance, morts. Un berger donne son bélier à soigner au grand-père d'Olivier, Chabrand, ce tout jeune homme qui est un des protagonistes du roman, dont la famille porte des valeurs gioniennes : Tout ça c'est bien ressemblant à ces Chambrand, beaux parleurs, siffleurs, chanteurs, regardeurs de beaux regards, si peu attentifs aux sous et aux billets et tant attentifs à la bonne manière. Il y a aussi Madeleine, son amoureuse, Joseph , le frère de celle-ci, et Julia, sa femme au corps épanoui, qui veut exulter. le narrateur est implicite, témoin des événements.
Quand la guerre dévaste, la nature -la forêt si belle- protège, et les gens angoissés, dont la détresse désorganise l'école et fait passer les enfants à naître, se rassemblent, pour la veillée d'un corps absent, pour l'amour, pour qu'on se sente humain.
La guerre, ce sont les corbeaux, les rats, la boue, le feu, les morts, les chairs en lambeaux, les corps sur lesquels on marche, la confusion, les cauchemars, la peur, la fatigue, les hommes qui sont comme des bêtes : un se terre comme une bête.Joseph y perd son bras, Olivier se mutile. Casimir est devenu un homme gras avec une jambe en moins. Avant c'était un beau laboureur maigre et dur comme une vieille fève.
La guerre prend tout : On n'a jamais eu l'habitude d'être commandé par les autres, ici. Alors les hommes, alors le blé, alors les moutons, alors les chevaux, les chèvres, tout alors, il lui faut tout !
A l'arrière, la nature est indifférente à la violence humaine. Toute la nature couverte de blés mûr est là, rousse comme du beurre dans le grand bol bleu des collines.
Les lettres vont de l'arrière au front, et du front à l'arrière, précaires, décalées, qui font du bien, qu'on désespère de jamais recevoir, porteuses de mauvaises nouvelles. Car la vie continue, à la guerre et à l'arrière de la guerre.
A la fin du roman, un garçon- oui, c'est bien un homme il a tout, dit son arrière grand-père qui lui a palpé la figue d'entre-jambes- rentre dans le grand troupeau des hommes. le berger, venu voir son bélier, lui fait les présents des pâtres, le vert de l'herbe, les bruits du monde, le soleil, tandis que l'étoile du berger monte dans la nuit.
Giono est un pacifiste viscéral. La guerre, c'est que du mauvais. Il le dit en 31, quand on ne sait pas encore que la suivante est proche.
Cependant, lire un roman de Giono, c'est entrer en poésie panique. On aura vu que la langue est orale, reprenant le parler, et même leur langue particularisée, des hommes simples, les paysans, les soldats, un langage qui vit, dans les ressauts d'un rire plein de colère et de détresse : Et tout Artaban que tu es, si je te secoue, tu perds tes puces pour dix ans, mais surtout elle regorge d'images plus belles les unes que les autres : C'est mûr comme la pêche qui tremble sous une abeille.
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