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Critique de berni_29


Les grands chemins, roman de Jean Giono publié en 1951, m'a quelque peu dérouté au départ. J'avoue avoir eu un peu de mal à y entrer, je ne sais pas trop dire pourquoi. Je cherchais le côté solaire des premiers romans de l'écrivain, je ne le trouvais pas, je vivais une sensation qui me déstabilisait, un sentiment d'inquiétude dans un texte indomptable.
Je ne me sentais pas serein à l'abord des premières pages de cette lecture, mais est-ce le but d'un roman ? Je ressentais comme une sorte d'inquiétude, de malaise...
Pourquoi ?
Est-ce le paysage rugueux, ce fond de vallée où les chemins se perdent, n'arrivent nulle part ?
C'est peut-être l'approche de l'hiver dans ces montagnes où le jour se resserre dans l'étau de la vallée comme une peau de chagrin.
Cela tient peut-être aussi aux personnages qui ne ressemblent pas à ceux que j'avais l'habitude de rencontrer dans l'oeuvre de Giono.
Peut-être aussi parce que nous sommes ici loin du lyrisme de ses premiers romans.
Posons un peu le décor, les personnages, l'intrigue...
Nous sommes à la fin de l'été. Un narrateur, épris de nature et de grands espaces, nous invite à suivre ses pas, son itinéraire de nomade, de vagabond. Il aborde un paysage de montagne. C'est un trimardeur, courageux à la tâche, il sait un peu tout faire, conduire des engins agricoles, des poids lourds, travailler de ses mains. C'est ainsi qu'il va dans son existence, il n'a jamais de mal à trouver du boulot. Qui plus est, son allure débonnaire l'aide rapidement à poser une relation de confiance avec les autres.
La vallée qui s'offre ici est presque un lieu fermé où l'hiver va venir. Déjà la lumière s'atténue vite dès le soir venu. Il faudra sans doute songer à se poser dans un des villages qui émergent du paysage.
Il fait la rencontre d'un homme qui le séduit d'emblée. C'est un joueur de cartes. Il est fasciné par la prouesse de ses doigts avec les cartes. Ils s'entendent tout de suite, il y a quelque chose qui les aimante l'un à l'autre.
Tous deux ne tiennent pas en place, c'est sans doute à cela qu'ils se sont reconnus tous deux... Mais pour le reste, ils sont totalement différents : l'un veut travailler, l'autre pas.
Malgré cette association contre nature, ils deviennent dès lors des compagnons de route pour aborder cette vallée, le narrateur appelle aussitôt cet homme qui le fascine l'Artiste.
On ne saura jamais leur nom, sauf celui de l'Artiste tout à la fin.
Les chemins les amènent au tout début de leur périple de village en village. Ils se séparent, se retrouvent. Ce sera ainsi tout au long du récit. L'Artiste s'avère très vite menteur, tricheur...
Voilà une relation d'amitié complexe, ambigüe, presque impossible. Un jeu d'attirance, de domination et de répulsion.
Ils n'ont peut-être en commun que l'errance qui les entraîne sur les chemins et la volonté de se poser brusquement au même moment. Ils sont tous deux sans attache et veulent être libres.
Il y a comme un désir de protection du narrateur à l'égard de l'Artiste, mais ce dernier le prend comme une sorte de contrôle et ne l'accepte pas.
C'est une amitié où s'invite la fascination, le vertige, le rejet.
Parfois, en amitié, c'est un peu comme en amour, il y a un des deux qui en demande un peu plus...
Ce livre un peu rebelle, qui résiste à certains endroits, avouons-le, je l'ai ressenti comme une impuissance fraternelle à trouver un territoire pour accueillir une amitié. Et pourtant cette amitié me paraît à bien des manières totalement inoubliable...
Il y a des forces telluriques dans ce roman, qui portent et soulèvent les personnages, les sentiments sont taillés à coup de haches comme les à-pics d'une paroi rocheuse.
On sent à un moment que la tension va crescendo dans le récit. Il y a quelque chose de taiseux, le paysage devient brusquement oppressant.
J'ai aimé cette amitié un peu revêche qui se promène là entre eux deux sans trop savoir comment se poser. Elle est violente et c'est beau. L'aspérité des personnages, du moins celle de leur relation, m'a totalement convaincu.
Les grands chemins ne mènent nulle part ou ailleurs, pas forcément là où nous le voulions.
Il y a une forme d'errance et de solitude, une désillusion, quelque chose qui fait penser que Jean Giono ne croit plus ici en l'humanité.
La grandeur des chemins, ici je pense qu'il faut la chercher dans les abîmes intérieurs des personnages.
Et à la fin, ce roman m'est apparu magnifique.
L'écrivain René Frégni, que j'ai eu le plaisir de rencontrer cet été, inconditionnel de Giono - cela se ressent d'ailleurs dans son oeuvre - m'a incité à lire ce roman qu'il considère comme un des plus beaux et importants récits de cet écrivain.
Pas solaire, avais-je dis en début de ma chronique ? Et si les soleils les plus ardents étaient ceux qui brûlent en nous ?
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