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Critique de Lamifranz


« Naissance de l'Odyssée » (1930) est le quatrième récit publié par Jean Giono, après « Colline » (1929), « Un de Baumugnes » (1929) et « Regain » (1930), mais c'est le premier roman achevé par l'auteur (entre 1920 et 1924). de l'aveu même de l'écrivain, « il ne faut considérer ce livre que comme un jeu littéraire, un essai, en laissant à ce mot son sens expérience » (Préface à l'édition originale). Pour un essai, c'est un essai réussi, et même transformé, avec bonus (les amateurs de ballon ovale apprécieront j'espère la finesse de cette remarque toute rugbystique). On a connu des premiers romans moins réussis !
En 1919, Giono revient de guerre, et trouve un emploi dans une banque marseillaise, où il occupe la fonction exaltante de conservateur des titres, dans une salle de coffres située au sous-sol : « Ce livre a été écrit dans un souterrain » (Préface à l'édition de 1960). « L'Odyssée » d'Homère est un livre qui le suit depuis ses quinze ans, et qui contribue grandement à sa culture classique, et particulièrement antique. Ici c'est le moyen d'évasion le plus approprié pour l'enterré vivant qu'est Giono. Il y a déjà longtemps qu'il a découvert l'homérique, et c'est justement ce texte qui va servir de base à son roman.
Le sujet est original : Ulysse rentre chez lui, un peu penaud parce qu'il a traîné en chemin avec des femmes légères (et court vêtues), et il se demande quelle histoire il va raconter à Pénélope, pour se faire pardonner. D'où le titre : « Naissance de l'Odyssée » ? L'Odyssée n'étant plus le récit des aventures « vécues » par Ulysse, mais celui des aventures « racontées » par Ulysse, ce qui chez un méridional, a des chances d'être non seulement épique, mais encore emphatique voire tartarinesque !
C'est un Giono auquel on n'est pas habitué. Oh ! ce n'est pas la grosse galéjade du « Bar de la marine » (celui de César), Giono n'est pas un amuseur ; mais il distille un humour subtil qu'on ne retrouve pas souvent dans ses oeuvres postérieures. On a vu qu'il changeait l'histoire. Il change aussi les personnages : Ulysse est un vantard, peureux, infidèle, plus tordu que rusé, Pénélope est une jolie garce, elle aussi infidèle et menteuse comme pas deux (la belle Hélène, d'Offenbach), et les autres personnages à l'avenant. Pourtant on ne glisse à aucun moment vers la comédie, le vaudeville ou l'opérette. Les personnages ne « sentent » pas la caricature, mais restent plausibles, dans cette histoire parallèle qui, ma foi, aurait pu se passer ainsi.
Et puis ce qui fait la spécificité de Giono, c'est la poésie :
« Aplati sur le sable humide, Ulysse ouvrit les yeux et vit le ciel – rien que le ciel ! Sous lui, la chair exsangue de cette terre qui participe encore à la cautèle des eaux.
La mer perfide hululait doucement : ses molles lèvres vertes baisaient sans relâche, à féroces baisers, la dure mâchoire des roches ».
« Naissance de l'Odyssée » atteint ainsi un double but : Giono désacralise en quelque sorte l'oeuvre (le chef-d'oeuvre) d'Homère, sans rien lui enlever de sa force, ni de sa puissance d'évocation, et en même temps il crée un nouvel objet littéraire, entre l'hommage et la parodie tout en y incluant sa propre mythologie (qu'on retrouvera tout au long de son oeuvre), ses propres convictions et sa propre poésie.
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