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Critique de Lamifranz


Deuxième des « Chroniques romanesques », juste après « Un roi sans divertissement », « Noé » (1947) déconcerta les lecteurs habituels de Jean Giono : ce n'est pas un roman au sens traditionnel, avec une intrigue, un décor et des personnages qui racontent une histoire ; ce n'est pas non plus un essai qui soutiendrait une thèse ; ce n'est pas un recueil de « choses vues » ou de « choses vécues » ; c'est un peu de tout ça, arrangé à la sauce de l'ami Jean.
Historiquement, cet ouvrage se situe entre deux bornes bien définies : le roman qu'il vient de terminer « Un roi sans divertissement », et celui qu'il va entreprendre, qui s'appellera « Noces » (et qui ne verra jamais le jour). Entre les deux se situe l'actualité de l'auteur qui se résume à deux faits importants : La cueillette des olives, et un voyage à Marseille. Au retour de la récolte, il rentre avec des amis. L'un d'eux leur confie un lot de photos. C'est en les regardant qu'il a l'idée, puis le projet, de « Noces ». Ces deux faits (la récolte et le voyage) forment l'épine dorsale de « Noé ». Curieusement, d'ailleurs, Giono placera le voyage avant la récolte dans son « roman », alors que c'était chronologiquement l'inverse.
« Noé » est donc l'histoire d'un voyage entre deux romans. Egalement un pont entre des personnages des romans antérieurs et ceux des romans à venir : on sait que Giono pense à Angelole Hussard sur le toit ») depuis 1939, et que Adelina (que l'on a vue dans « Pour saluer Melville ») est prévue dans des romans encore à écrire. « Noé » fait donc la part belle au romancier, pas seulement pour son oeuvre écrite ou à écrire, mais aussi pour affirmer sa conception d'écrivain : « Ma sensibilité dépouille la réalité quotidienne de tous ses masques ; et la voilà, telle qu'elle est : magique. Je suis un réaliste ».
Réaliste, Giono l'est en effet, quand il insère dans son récit quelques anecdotes comme l'histoire de la Thébaïde, celle de Melchior et Rachel, ou celle de Empereur Jules. de plus, ces insertions contribuent à donner une respiration au récit, et par là une certaine unité, qui n'est pas toujours évidente.
Le titre intrigue souvent les lecteurs (et lectrices) : pourquoi Noé ? Quel rapport avec le personnage biblique ? Au-delà du thème du voyage (qui paraît évident), on peut comprendre que Noé a mis dans l'arche tout ce qui est « essentiel ». Peut-être aussi faut-il voir une réponse dans l'introduction que nous livre Giono, où il donne la parole à Dieu : « Fais entrer dans ton coeur toute chair de ce qui est au monde pour le conserver en vie avec toi… » Ce qui tend à suggérer que l'arche, c'est le coeur…
Oeuvre inclassable, « Noé » se présente comme un récit complexe et un peu rebutant, mais d'une très grande richesse, une fois qu'on y est entré : « D'incessants échanges, de surprenantes contaminations se produisent dans « Noé » entre le réel et l'imaginaire, entre le présent et le passé ; l'ouvrage mêle à tout moment l'autobiographie et le roman, mais l'autobiographie est peut-être fictive, et la fiction s'appuie peut-être sur de l'authentique. Etrange machine, éblouissante et complexe » (Robert Ricatte).
Et puis, il y a toujours la langue de Giono. Comme celle de Colette, elle coule de source, et appuie son propos avec clarté, simplicité, limpidité, la marque de fabrique des grands écrivains.


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