Le S.R. et ses annexes avaient remplacé les Allemands dans ce grand hôtel de la rue de Rivoli. Le décor un peu désuet n'avait pas d'époque. Le service de renseignements que dirigeait le commandant Adrien Rove occupait une partie du quatrième étage. Comme il y avait de quoi coucher sur place, les agents du service travaillaient parfois vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
L'épuration du territoire n'allait pas sans heurts avec la haute politique qui les stoppait ça et là dans leurs ardeurs. Ainsi le dossier de la Gestapo ne se compléta jamais, ne se fermant jamais non plus. Certains actes, certains noms, eussent fait reculer les âmes les plus solides. Qui a dénoncé Jean Moulin?...
Dans la cour de l'école un groupe de jeunes vengeurs, mitraillette Sten en bandoulière, réchauffaient leurs couilles molles autour d'un brasero. Les vrais étaient morts et les survivants valables se battaient dans les Ardennes.
Nous absorbons tous les milieux, nous avons besoin des nonnes et des putes, des pères tranquilles et des samouraïs, des bons artistes et des bons faussaires, des directeurs de banque et des perceurs de coffre.
La misère débordait des bâtiments pour ruisseler dans les grandes cours. La guerre n'était pas toujours sur les champs de bataille. La facture était alourdie par les infirmes, la jeunesse déboussolée et surtout la France divisée.
Le passé reculait comme un monstre nocturne poignardé par les premiers rayons du soleil
Si un homme fatigué, brulé par le soleil, la peau sèche comme une vieille croute, la langue épaisse, découvre une cascade d'eau fraiche et qu'il se plonge dessous, il reçoit ce bienfait d'une certaine manière.
C'est ainsi qu'Adrien Rove recevait la musique.
Georges retrouva sa réalité. Sa vie d'homme traqué qui doit se méfier de la rue et des gens qu'il croise.
La lisière de la foret était encore noire. Elle tranchait sur le champ livide. Les feuilles n'étaient plus là pour indiquer la moindre brise. D'ailleurs le froid immobilisait tout.