Citations sur La fille derrière le miroir (12)
Elle se sentait trahie. Qui plus est par sa propre famille, les personnes même qui auraient dû lui être les plus proches, sur lesquelles elle aurait dû pouvoir compter aveuglément pour leur franchise, leur honnêteté
Jusqu’alors, il avait toujours paru plus jeune que ses quatre-vingt-cinq ans, mais sa maladie l’avait énormément vieilli. Mandy n’arrivait pas à associer l’homme agile, droit comme un i que son grand-père était quelques semaines à peine plus tôt, avec ce vieillard sans substance qui n’avait même pas la force de relever la tête pour boire.
Mon propre oncle, bon sang ! Je lui faisais confiance. Je le considérais comme un père. Toutes ces nuits au chevet de grand-père, lui assis simplement à côté de moi tout en sachant… Comment a-t-il pu ? Comment a-t-il osé ? En repensant aux photos des deux fillettes nues sur son ordinateur, elle sentit son estomac se retourner. Les mots et les phrases déferlaient, désormais pleines de sens, mais enterrées si profondément dans sa mémoire qu’elle n’avait pas compris tout de suite.
Ce n’étaient pas des hallucinations, mais bel et bien des souvenirs. D’une chose si abominable que mon cerveau avait tout refoulé jusqu’à maintenant. Tu n’es qu’un pervers. Tu as essayé de me violer alors que je n’avais que treize ans !
Cher, très cher grand-père ! Elle tenait tant à lui ! Elle ne pouvait pas supporter l’idée même de le perdre. Avec grand-mère, il avait occupé, d’aussi loin qu’elle s’en souvînt, une part si importante de sa vie. Elle avait toujours une relation privilégiée avec son grand-père ; ils se ressemblaient par tant d’aspects et ils voyaient la vie de la même manière ; ils avaient le même sens de l’humour. Ses parents lui avaient souvent répété qu’elle tenait beaucoup de lui, et la perspective de ne plus jamais le voir était plus qu’elle ne pouvait le supporter. Ne plus lui parler au téléphone, ne plus passer le voir sans prévenir et voir son visage s’éclairer sous l’effet de la surprise ; ne plus rire d’une blague avec lui ou discuter politique, ce qu’il adorait.
L’excès de nourriture, le manque de sommeil et le fait d’être restée confinée dans le bureau trop chauffé rendaient son cerveau paresseux, mais son corps avait besoin d’action. Une marche d’un pas vif était exactement ce qu’il lui fallait, pensa-t-elle, pour « chasser les toiles d’araignée », comme aurait dit sa grand-mère.
C’était un homme si bon et si gentil, fier et bienveillant, qui avait toujours agi pour le bien-être de sa famille. Il n’aurait jamais dû finir sa vie en implorant à l’aide ; il aurait dû pouvoir la terminer comme il avait toujours vécu : de manière digne et respectable.
Il vaut mieux avoir essayé et échoué que de ne jamais avoir essayé.
Quand elles étaient plus jeunes, Sarah et elle avaient ri en se disant que les deux adultes paraissaient s’apprécier beaucoup, d’autant qu’ils se disaient toujours bonjour et au revoir en s’embrassant sur la bouche plutôt que sur les joues.
C’était comme un air de déjà vu, cet éclair de familiarité, une sensation plutôt qu’une pensée consciente. Un vertige, un sentiment d’irréalité, comme si elle avait soudain eu la vision d’un autre monde. Cela avait été fugace et imprécis, mais en regardant la maison de sa tante, Mandy sentit la panique monter en elle. Enfant, elle y était venue de nombreuses fois, mais elle n’arrivait pas à se souvenir du moindre détail. C’était comme de regarder l’album de photos de vacances de quelqu’un d’autre, prises dans un endroit où elle était déjà venue.