L’œil dérobé
à Jean-Jacques Lebel,
nilotique
Extrait 4
Ce langage qui fume, ici nous y passons, comme l’acier rauque
est noyé d’échos !
Comme l’écho chevauche le rai métallique et qui tremble.
- L’arbre trahi couvre d’un miel sa racine
Ainsi le jet à la distance rallie la roche…
En feux de bronze il flaire sur l’eau, désigne la halte
nous reposons dans l’immobilité du fruit, nous balbutions
une enfant nous visite, les joues noires d’une supplication
inlassée.
« Mon corps aimé mon corps aimé », soupire l’aube de
la barque, « enseigne-leur
l’encens du mimosa, l’odeur d’encre », la lance d’un regard
fichée
au feu d’un potier boiteux.
L’œil dérobé
à Jean-Jacques Lebel,
nilotique
Extrait 3
La déclive des mots glisse si simple qu’en la houlure des
palmiers,
une eau à quoi nous ne goûtons, et nous l’épuisons toute,
par la soif qui en nous dérobe ses tombes,
par l’aile avide des ibis, et par la salure des voiles…
Et des mille de dieux vagabondent pour nous au monde,
quand l’eau des rives monte à peine,
à peine descend dans l’enfance…
Fut dit l’ibis. Viennent là-bas les oiseaux bleus d’Assouan !
Furent dits ces Nils, où nos bagages gréent des sébiles de sable…
Au chemin qui navigue est un clos où des rus s’enlacent,
l’esprit qui veille est un danseur, soûl de ses mains lassées.
Les nouvelles du monde à l’infini ont frappé la pierre !
Passé la puissante colonne, leur lumière a loué nos fronts
posant l’abeille-aux-pattes-liquides sur le roseau désenlacé.
L’œil dérobé
à Jean-Jacques Lebel,
nilotique
Extrait 2
Au détour du vent ce ressaut d’aller !
Fougère enfoulée de cris, paraissant et mourant…
Un esprit s’acharne à sa voile qui se dérobe,
un homme accroupi purifie ses mains en un geste d’imploration,
- le fleuve songe, ses chemins nous hèlent dans le passage
« Mon corps aimé mon corps aimé », dicte la lune à son ombre
ballée de bleu,
« donnez que le pèlerin se nourrisse de feu en oblique »,
le poème a bridé les chairs
hier allouées en cru nilique
et qui portaient limon au cœur.
L’œil dérobé vient à méfait !
Le laps des ans nous a paru d’éternité,
il n’est tant de mots qu’amas dénudé, fol.
L’œil dérobé
à Jean-Jacques Lebel,
nilotique
Extrait 1
PRÉSENTATION
Le Nil, fleuve du temps. Leçon du temple de Kom-Ombo, où
estime au mieux cette chirurgie calée dans la pierre, désignant
ses instruments et son rituel, qui servit à restituer au dieu Horus
son œil, non moins rituellement énucléé par un autre dieu. Images
de l’œil qui marche, ou qui verse un pleur en sillage. Le langage
de l’eau n’est perçu qu’en écho, dru comme feuille d’étain. Les
cartouches de pierre livrent leur matière secrète. Les relents des
mots, que le visiteur recueille ou profère, s’entassent en réels
lointains : C’est l’acoma, l’arbre de majesté de la forêt tropicale ;
ou c’est laghia, danse antillaise en forme de combat, qui révèle
l’accord et l’écart. Les deux langages s’évadent l’un de l’autre,
l’un deviné en cette navigation, l’autre qui naît à peine à l’ordre
du poème. Une écluse sans eau bloque à vif la dérive vers le Delta.
Mais dans l’assomption des nouvelles du monde, les deux paysages,
le nilotique et l’insulaire au loin, se touchent et se comprennent.
Ichneumon et Laoka s’accordent à nouveau, pour célébrer le
regard recomposé du dieu.
Les nouvelles de Lune n’ont pas enfreint les hypostyles
et la poussière de nos pieds à peine empreint le sable…
Ne troublez pas mon rang de cette rumeur de terre,
ah laissez que s’enfuie ma journée, dans l’amitié de vous
Corolle nous te prions
N’approche pas le boucan.
En ce qui passe ému semis et lasse
Nous te vouons nos yeux
Le cuivre battu monte à ton front tes chevilles vantes
Tu es la femme qui navigue, un enfant mort au sein
Tu es ce peuple, il le faut, qui gravit et son souffle
S’alourdit aux ravines où ne croît que notre trace
Tu es orgueil qui cède au cœur quand sur la Place
Ne roue plus que le sable où se récrit ta race
Parce que nous sommes insus
Nous coulons dans cette rivière
Des graviers marquent l’an aux sables
Une bête-longue file aux bambous
J’ai cette terre pour dictame au matin d’un village
Où un enfant tenait forêt et déhalait rivage
Ne soyez pas les mendiants de l’Univers
L’anse du morne ici recomposée nous donne
L’émail et l’ocre des savanes d’avant temps
Le même midi ouvre ce jardin,
Nous étions au loin
Comme aigle ou milan.
La mer en diamants