Maudite soit d'abord la haute opinion dont l'esprit s'enivre de lui-même ! Maudite soit la splendeur des vaines apparences qui assiègent nos sens ! Maudit soit ce qui nous séduit dans nos rêves, illusions de gloire et d'immortalité ! Maudit soient tous les objets dont la possession nous flatte.
Non, le nouveau bourgmestre ne me revient pas : à présent que le voilà parvenu, il va devenir plus fier de jour en jour. Et que fait-il donc pour la ville ? Tout ne va-t-il pas de plus en plus mal ? Il faut obéir plus que jamais, et payer plus qu'auparavant.
FAUST :
Vous n'y parviendrez jamais, si vous n'éprouvez pas de sentiment,
Si l'inspiration ne jaillit pas hors de votre âme,
Et si, par la plus vigoureuse assurance,
Elle n'entraîne pas les cœurs de tous ceux qui écoutent,
Mais restez toujours assis, à copier et coller,
Réchauffez les reliefs d'autrui dans un petit ragoût
Et tirez en soufflant de misérables flammes
De votre petit tas de cendres ! ...
Alors vous aurez l'admiration des enfants et des singes,
Si le coeur vous en dit...
Mais jamais vous n'agirez sur le cœur des autres,
Si votre éloquence ne part pas du vôtre.
La beauté des femmes ne veut rien dire, elle est bien trop souvent une image figée ; je ne peux célébrer qu'un être d'où jaillissent la joie de vivre et la gaîté. La beauté féminine se suffit à elle-même, mais la grâce rend irrésistible (...).
Ah ! vous serez bientôt des nôtres, ma chère, je le parierais ; votre corps si jeune et si frais, se pourrira, comme tant d'autres.
L'homme croit d'ordinaire, quand il entend des mots, qu'ils doivent absolument contenir une pensée.
MÉPHISTOPHÉLÈS :
Dans un tel esprit tu peux te hasarder : engage-toi ; tu verras ces jours-ci tout ce que mon art peut procurer de plaisir ; je te donnerai ce qu’aucun homme n’a pu même encore entrevoir.
FAUST :
Et qu’as-tu à donner, pauvre démon ? L’esprit d’un homme en ses hautes inspirations fut-il jamais conçu par tes pareils ? Tu n’as que des aliments qui ne rassasient pas ; de l’or pâle, qui sans cesse s’écoule des mains comme le vif argent ; un jeu auquel on ne gagne jamais ; une fille qui jusque dans mes bras fait les yeux doux à mon voisin ; l’honneur, belle divinité qui s’évanouit comme un météore. Fais moi voir un fruit qui ne pourrisse pas avant de tomber, et des arbres qui tous les jours se couvrent d’une verdure nouvelle.
Tout homme qui marche peut s'égarer.
FAUST :
Si jamais je puis m'étendre sur un lit de plume pour y reposer, que ce soit fait de moi à l'instant ! Si tu peux me flatter au point que je me plaise à moi-même, si tu peux m'abuser par des jouissances, que ce soit pour moi le dernier jour ! Je t'offre le pari !
MÉPHISTOPHÉLÈS :
Tope !
FAUST : Ma jolie demoiselle, oserai-je hasarder de vous offrir mon bras et ma conduite ?
MARGUERITE : Je ne suis ni demoiselle ni jolie, et je puis aller à la maison sans la conduite de personne.