Je n'avais jamais connu la guerre. Mais maintenant que sa souillure est revenue me hanter, je suis forcée de contempler mon erreur dans le reflet de ces jours passés, ces jours de paisible illusion. Comment ai-je pu échouer à discerner sa silhouette à l'horizon ?… Telle était pourtant ma tâche : j'étais une sentinelle. Un agent du renseignement, employée du gouvernement fédéral américain. Un fonctionnaire dont l'identité n'appartient qu'à l'État. Jusqu'à ce jour.
Je n'avais jamais connu la guerre.
En quelques jours à peine, j'allais perdre cette virginité.
Longtemps, j'ai été cette femme innocente et naïve qui croyait à la géométrie du progrès. Une simple ligne droite, montante, parallèle à la flèche du temps. Le passé était forcément derrière nous. Il ne peut pas y avoir de guerre quand l'on trouve du steak de soja ou des yoghourts au bifidus dans son supermarché. Ou quand on peut payer sa place de parking avec une carte de crédit. La guerre, c'était dans les musées qu'elle se déclarait. Pas sur le pavé de nos rues tranquilles. Il y avait bien cette rumeur qui n'avait jamais cessé de bruire, là-bas, aux confins du monde connu. Ces images télévisées de pays de soleil éclaboussés de sang. Mais pour moi, elle demeurait une grande dame de l'ancien temps. Pour moi, elle se résumait à cette contemplation de vieilles photos sépia remplies de regards innocents, capturés avant la mort. Aujourd'hui, l'ordre régnait. Elle n'avait plus sa place parmi nous. Elle avait fait retraite.
Journal de Julia — Washington D.C., 29 juin
Le premier signe est venu au creux de ces heures incertaines
qui démarquent avec peine la nuit du petit matin. Je suis toujours
au bureau, abrutie de fatigue, seule depuis des heures.
Dehors, Washington D.C. demeure encore muette. Mais dans
le ciel, les ténèbres se déchirent sous la force de vagues immobiles.
Le moment approche.
C'est là, sur le coin droit de mon écran d'ordinateur — une
icône d'alerte. Nouvelle « flash » — source ouverte.