le temps des dérives solitaires et des actions unilatérales devait s'achever. La clé de toute doctrine de sécurité résidait dans l'action collective. Tel serait le combat de leur présidence.
Il devait être sept heures et quart du matin. Les murs blanc crème du Bureau ovale réfléchissaient la lumière du petit matin. Sur un coin de table, un buste d'Abraham Lincoln adressait un regard pensif à la pelouse sud et au monde qui s'éveillait au-delà.
« L'affaire du meurtre de Zhu Tianshun nous oblige à être très fermes par rapport aux désordres étudiants. Il existe aujourd'hui, d'après le camarade Gucheng, des ferments encore plus dangereux qu'au printemps 1989 et je propose que les autorités du Guangdong décrètent immédiatement l'interdiction de toute manifestation dans la province, ainsi que l'instauration du Caiqu jieyou cuoshi — la déclaration de mesures partielles et de court terme de la loi martiale sur toutes les grandes villes de la province. Prenant effet dès demain soir minuit. Nous agirons avec la plus grande sévérité contre les contrevenants. Tout en gardant à l'esprit la sagesse du camarade Yang Shangkun, le regretté compagnon de route du camarade Deng Xiaoping, qui, au moment de la fermeté, insista avec raison sur les mots d'ordre suivants : “Pas de vies sacrifiées. Pas de sang versé.” Camarades, telle est bien la sagesse qui doit conduire notre action. » Et il conclut en joignant les paumes de ses mains en un signe de pieuse résolution.
La référence à Yang Shangkun n'était pas passée inaperçue. En 1989, lors des événements de Tienanmen, il avait été le dernier Aîné à soutenir le secrétaire général Zhao Ziyang quand celui-ci tentait encore de maintenir le dialogue avec les étudiants. Un clin d'œil pour faire passer la pilule. Qiao Yi avait monté la barre. Il devait avoir l'appui de certains vieillards de Zhongnanhai. Hu Ronglian sentit qu'il ne pourrait résister. Il était sur la touche.
Le comité approuva.
Le Parti central déclenchait l'épreuve de force.
Quelque part entre le Groenland et l'Islande, une turbulence un peu plus forte que les autres gifle d'un coup sec le corps du grand avion.
Mais peut-on échapper à son destin ? Peut-on échapper à la malédiction du pays qui vous a fait naître, qui a fait de vous l'un de ses fils prodigues — et qui réclame de vous aujourd'hui le plus grand des sacrifices, celui de ses propres principes ?
Les liens du sang sont toujours les plus forts. La bataille de Pékin commencerait dans vingt-quatre heures.
Le premier signe est venu au creux de ces heures incertaines qui démarquent avec peine la nuit du petit matin. Je suis toujours au bureau, abrutie de fatigue, seule depuis des heures. Dehors, Washington D.C. demeure encore muette. Mais dans le ciel, les ténèbres se déchirent sous la force de vagues immobiles. Le moment approche.
C'est là, sur le coin droit de mon écran d'ordinateur — une icône d'alerte. Nouvelle « flash » — source ouverte. Je clique. Un fil personnalisé de l'édition électronique du New York Times. L'écran dans l'écran avale lui aussi tout l'espace. Et marque la fin de la nuit. Mais je ne le sais pas encore.
Le monde n'a plus de couleurs, il n'a que des dégradés. Jusqu'à ce que ces teintes finissent par vous habiller.
Le noir peut être blanc, le blanc gris et le gris la seule couleur restant à notre arc-en-ciel quotidien, tellement prégnante que l'on en oublie jusqu'à l'existence.
Le « démon » n'existe que tant que les intérêts divergent.
Mon nom est Julia. Il y a longtemps maintenant — peut-être vingt-cinq ans —, j'ai fait, par amour et par fidélité, le choix de servir plutôt que de disposer. J'ai décidé de participer au jeu secret que se livrent tous les États entre eux, depuis toujours, alliés du jour ou ennemis ancestraux — cela ne fait aucune différence. J'ai pour commerce de traquer l'information. De démonter les certitudes les plus fermement établies — car c'est là, précisément, que l'adversaire, ami ou ennemi, nous attend. Et cette main qui vous caresse, c'est peut-être celle qui vous étranglera. Et cet ami d'enfance qui vous sourit n'est là que sur demande d'un puissant dont il est l'intermédiaire. Et cet ennemi implacable qui a consumé vos enfants jusqu'à la dernière cendre veut devenir votre plus fidèle allié.