Citations sur Une femme simple et honnête (70)
Les commencements étaient tellement enchanteurs, en général, et pourtant elle ne pouvait que demeurer plantée là, terrorisée devant tous ces petits compromis qui comblaient l'entre-deux.
Ils rêvaient leurs existences dans le noir.
Chaque jour, l'hiver reculait. L'éteule réapparut dans les champs, les après-midi s'allongèrent. le fleuve noir n'avait pas quitté sa carapace de glace mais les portes de la prison paraissaient s'ouvrir et les gens, attendre le premier jour de douceur, celui ou les filles pourraient enfin apparaître dans leurs robes d'été. Il y avait un avenir.
Elle lut des romans sentimentaux, en s'imaginant que les hommes et les femmes assis aux tables de lecture étaient les personnages de ces intrigues. Des vies heureuses et passionnées - comme tout paraissait simple, pour les autres. Elle lut Jane Austen, Thackeray, Dickens, ces histoires dans lesquelles la vie des pauvres loqueteux devenait merveilleuse à la fin.
La gare sentait le boeuf et l'encre d'imprimerie, la bière et le fer. Catherine avait été privée de tout cela pendant trop longtemps. Replié tout ce temps dans l'immensité blanche, son coeur brûlait de retrouver les aventures, les amis, la nourriture et la boisson, la multitude d'événements que promettait la ville. Les gens y venaient pour le vice. Ils y venaient pour y faire ce qu'ils ne pouvaient se permettre chez eux. Fumer des cigarettes. Avoir des relations sexuelles. Se faire un nom.
Ce qu’il avait voulu, c’était une femme simple et honnête. Une vie tranquille. Une vie dans laquelle tout pourrait être préservé et où personne ne deviendrait fou.
Elle se rappela qu'elle jouait un rôle, et fut convaincante. Elle avait pris l'habitude d'être la femme que recherchaient les hommes, et elle savait que Ralph voulait repartir de zéro, recommencer avec une femme ingénue et timide, qui ne s'abandonnait que par petites touches discrètes, et elle la jouait bien, tellement bien qu'elle en croyait son propre mensonge.
Elle avait mené une vie entière de souillure, d'abjection et de luxure. Ce à quoi elle aspirait aujourd'hui du fond du coeur, à sa grande surprise, c'était à un printemps aussi abondant et érotique que l'hiver était chaste et exsangue.
Elle n'était ni douce ni romantique, ni simple ni honnête. Elle était à la fois désespérée et pleine d'espoir. Elle était comme toutes ces femmes dont les rêves stupides leur arrachaient immanquablement, à elle et à ses amis, des hurlements railleurs; mais à présent qu'elle contemplait le visage d'une de ces femmes, tout cela ne lui paraissait plus risible du tout.
Aussi Ralph se tenait-il le torse bombé, inflexible, insoucieux de la température et endurci contre les commérages, le regard fixé sur les rails qui allaient se perdre au loin. Il était plein d'espoir, n'en revenait pas d'espérer encore, d'espérer qu'il était présentable, ni trop vieux, ni trop stupide, ni trop hostile. Il espérait, ne fût-ce que pour cette heure précédant la neige qui les cloîtrerait tous entre quatre murs, que l'agitation de son âme, sa solitude inconsolable demeureraient invisibles.