"Il est des choses auxquelles on échappe, pensa-t-il. Mais contre la plupart d'entre elles on ne peut rien, et le froid en fait partie. On n'échappe pas à ce qui est écrit pour nous, surtout au pire. La perte de l'amour. La déception. Le fouet aveugle de la tragédie."
Il s'était appliqué à être un homme bien, et il n'était pas un mauvais homme.
Elle était lasse de raconter cette histoire. Lasse de le réconforter. Il n'était qu'un garçon, un petit garçon bloqué dans l'enfance, un paradis perdu qu'il ne pourrait jamais retrouver. Elle le savait. Elle était persuadée que la mort du père, les noeuds en diamant et tout ce dédain insensible et luxurieux ne lui rendraient jamais ce qu'il avait perdu, car ce qu'il avait perdu, c'était le temps et ce qui lui restait, c'était la fureur.
Antonio était bien plus jeune que Catherine. Il était, pour elle, la dernière bouffée d'une jeunesse qui la trahissait déjà.
Elle n'était pas ce qu'elle donnait à voir à Ralph Truitt, mais elle n'était pas non plus ce qu'elle donnait à voir à Tony Moretti, et elle se demandait sans cesse lequel des deux était son être véritable, et lequel, le faux.
"Les hommes ne vous font de cadeaux, pensait Catherine en fixant cette neige incontrôlable et sans fin, que lorsqu'ils savent qu'ils ne peuvent vous donner ce que vous voulez."
Son cœur véritable, cependant, était enfoui si profondément en elle qu'il avait disparu sous la vaste couche de ses mensonges, de ses tromperies et de ses caprices. Tout comme ses bijoux, désormais ensevelis sous la neige, il gisait, caché, à attendre qu'un dégel vint un jour le libérer. Elle n'avait aucun moyen de savoir, bien sûr, si ce cœur qu'elle s'imaginait posséder avait en fait la moindre réalité. Peut-être était-il comme le bras coupé du soldat, qu'il sent battre là pendant des années, ou comme l'os brisé qui fait souffrir à l'approche de l'orage. Peut-être n'avait-elle jamais eu ce cœur qu'elle imaginait. Mais comment faisaient-elles, ces femmes qu'elle croisait dans la rue, riant avec leurs enfants ravissants ou colériques dans les restaurants, dans les gares, partout autour d'elle ? Et pourquoi se trouvait-elle à l'écart de tout de panorama romantique qu'elle sentait tourbillonner autour d'elle, chaque jour de sa vie ?
Nulles ténèbres en elles. Il n'avait que faire de la lumière.
Le silence l'enveloppait, l'étranglait. Chaque matin, son rasoir était une invite. Chaque nuit, l'arsenic était un aphrodisiaque.
Elles parlaient du commencement du monde, par le désir brûlant d'un homme pour une femme, du venin du serpent qui courait dans les veines de chaque homme afin qu'il ne pût s'oublier dans le labeur ou le sommeil, mais seulement dans les bras d'une femme.