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Citations sur Kalpa impérial (10)

Le narrateur dit : À présent que soufflent des vents cléments, à présent que sont révolus les jours d’incertitude et les nuits de terreur, à présent qu’il n’y a plus de délations, de persécutions ou d’exécutions secrètes, à présent que le caprice et la folie ont disparu du cœur de l’Empire, à présent que ni nous ni nos enfants ne sommes assujettis à l’aveuglement du pouvoir ; à présent qu’un homme juste se tient sur le trône d’or et que les gens sortent tranquillement de leurs maisons pour voir s’il fait beau et vaquent à leurs occupations et planifient leurs vacances et les enfants vont à l’école et les acteurs jouent leur rôle du fond du cœur et les filles tombent amoureuses et les vieux meurent dans leur lit et les poètes chantent et les joailliers pèsent l’or derrière leurs petites vitrines et les jardiniers arrosent les parcs et les jeunes discutent et les aubergistes mettent de l’eau dans le vin et les maîtres enseignent ce qu’ils savent et nous autres les conteurs de contes contons de vieilles histoires et les archivistes archivent et les pêcheurs pêchent et tout un chacun peut décider selon ses vices et ses vertus ce qu’il doit faire de sa vie, maintenant n’importe qui peut entrer dans le palais de l’Empereur, par nécessité ou par curiosité ; n’importe qui peut visiter cette grande maison qui des années durant a été voilée, interdite, défendue par les armes, fermée et obscure comme le furent les âmes des Empereurs Guerriers de la dynastie des Ellydróvides.
(Incipit)
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Le jour où la Grande Impératrice interdit le transport privé sur roues, beaucoup dirent qu’elle était folle. […] Elle avait raison, bien sûr. Les fiacres et les diligences et les calèches disparurent. Seuls ceux pour qui il était indispensable de se déplacer à plus de vingt kilomètres pouvaient monter dans un transport public sur roues. Les autres marchaient, ou chevauchaient un âne, ou, s’ils étaient riches, circulaient en chaise à porteurs. La vie se fit plus lente. Les gens devinrent moins pressés, car se presser était inutile. Les grands centres commerciaux, bancaires et industriels disparurent, ceux où tout le monde s’entassait et se poussait et s’irritait et s’insultait, et des petites boutiques et des services ouvrirent dans chaque quartier, où chaque commerçant, chaque banquier, chaque entrepreneur connaissait ses clients et la famille de ses clients. Les grands hôpitaux disparurent, ceux qui servaient à une ville entière et parfois à plusieurs villes, car un blessé ou une parturiente ne pouvait plus couvrir rapidement de grandes distances, et des petits centres médicaux ouvrirent où les gens se rendaient lentement et où chaque médecin savait qui étaient ses patients et avait le temps de causer avec eux du temps, de la crue de la rivière, des progrès des bambins, et même des maladies. Les grandes écoles disparurent, celles où les élèves étaient un numéro sur un formulaire, et chaque maître sut pourquoi ses élèves étaient comme ils étaient, et les enfants se levaient sans précipitation et marchaient en se tenant la main le long de quelques pâtés de maisons sans que personne ait besoin de les accompagner et ils arrivaient à l’heure en classe. Les gens cessèrent de prendre des tranquillisants, les maris de crier sur leurs femmes et les femmes sur leurs maris, et plus personne ne frappait les bambins. Et les rancœurs s’apaisèrent, et, au lieu de prendre une arme pour s’approprier l’argent d’autrui, les gens employèrent leur temps à d’autres choses qui n’étaient pas la haine et se mirent à travailler outre mesure puisqu’il y avait à réformer, maintenant que les véhicules véloces n’existaient plus et que les distances s’étaient allongées. Même les villes changèrent. Les villes monstrueuses dans lesquelles un homme se sentait seul ou inutile se démembrèrent et chaque quartier se sépara de l’autre et il y eut des petits centres, quasiment une ville en soi pour chacun d’entre eux, autosuffisants, avec ses écoles et ses hôpitaux et ses musées et ses marchés et pas plus de deux ou trois policiers blasés et somnolents assis au soleil, buvant une limonade avec un vieux voisin retiré des affaires. Les petites villes ne poussèrent pas et ne ressentirent pas le besoin de s’étendre et de s’agrandir, mais, le long du long chemin qui les séparait les unes des autres se fondèrent de nouvelles communes, petites également, tranquilles également, pleines de jardins et de potagers et de maisons basses et de gens qui se connaissaient et de maîtres et de médecins et de conteurs de contes et de policiers débonnaires.
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— La trahison salit et corrompt tout ce qu’elle touche – disait-elle. Je promets aux cieux et à la terre et aux gens qui la peuplent d’expier pour le reste de ma vie la culpabilité d’avoir été ta femme, d’avoir partagé ton trône, ta table et ta couche.
À nouveau ils se taisaient tous. L’enfant prince prenait un fouet que lui remettait l’un des nobles, un fouet au manche de nacre, dix-sept queues et griffes en métal à leur extrémité, et avec celui-ci châtiait la statue, ce qui restait de la statue : vingt coups qui résonnaient au milieu des arbres.
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Tandis que de la capitale partaient des ordres vers toutes les casernes et tous les camps du nord, dans les peuplades du sud était attendu l’homme qui devait venir. Si dans un village un enfant demandait qui et comment et pourquoi et d’où et dans quel but, ses parents, ou ses grands-parents, ou ses oncles, s’il avait perdu ses parents, lui répondaient : — Celui qui s’en est allé est revenu. Les plus petits ou les plus innocents continuaient à demander : — Et il va rester avec nous ? Et les aînés souriaient et disaient : — Il s’en est allé et il est revenu, et il s’en va et revient, et il s’en ira et reviendra. — Mais pourquoi ? — Parce que tout n’est pas joué, leur expliquait-on.
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Dans cette grande maison, dans une pièce obstruée par un toit écroulé, Bib trouva un jour à la fin de l’été un siège gigantesque, lourd comme une montagne, brillant comme les assiettes qu’il avait rapportées à sa mère en son premier jour d’homme, incrusté de perles dures comme celles du collier qu’elle portait depuis autour du cou à la place du chapelet de dents d’animaux chassés par Voro jadis un hiver alors qu’il n’était pas encore né. Il était si grand ce siège, si imposant, si massif, si démesuré, qu’il semblait à peine être fait pour un homme. Bib se dit que c’était celui d’un géant. Il se dit aussi que lui il était un géant. Ce n’était pas vrai, bien sûr, pour le moins s’agissant du corps : Bib était toujours un homme maigre et pas très grand. Mais il se dit ceci, il se dit que lui il était un géant et que le siège était fait pour lui. Et il gravit les trois marches de la base et s’assit. Seul, dans l’enceinte en ruine, dans l’obscurité quasi complète car il n’y avait pas plus de lumière que celle qui entrait par la brèche que le fils de Voro avait faite dans le toit tombé contre l’ancienne entrée de la salle, là, un barbare téméraire, curieux et désobéissant s’assit sur le trône d’or des seigneurs de l’Empire.
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Ce fut un bon empereur. Je ne vous dirais pas qu'il fût parfait car il ne le fut pas ; non, mes bons amis, aucun homme n'est parfait et un empereur l'est encore moins qui quiconque car il a entre les mains le pouvoir, et le pouvoir est nuisible comme un animal pas tout à fait domestiqué, il est dangereux comme un acide, il est doux et mortel comme du miel empoisonné.
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Vous avez sûrement lu quelque chose un jour ou entendu quelque chose au sujet du règne de l’Empereur Furet. Peu importe ce que vous avez entendu ou su, moi je vous affirme que ce fut un homme juste. Il était fou, certes, mais il gouverna bien. Sans doute parce que pour gouverner, bien ou mal, on ne peut pas être totalement sain d’esprit. Car comme le disent les sages, l’homme sensé s’occupe de son potager ; le lâche, de l’or ; le juste, de sa ville ; le fou, du gouvernement ; et le sage, de l’épaisseur des feuilles de la fougère.
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Pour une fois le sud n’avait rien à y voir. Le sud resta tranquille, prit ses aises et regarda, goguenard, aussi bien amusé que plein d’espoir, comment se massacraient ses frères du nord. Et ses frères du nord le réjouirent et lui offrirent un beau spectacle, violent et tonitruant ; et ils recouvrirent la terre et le ciel de cris de guerre et de douleur. C’est ça, je vous parle de la Guerre des Six Mille Jours. Qui ne dura pas six mille jours mais beaucoup moins et dont personne ne semble savoir pourquoi on l’appelle ainsi sauf un quelconque maniaque chercheur de bizarreries historiques qui pourrait vous dire que plus ou moins six mille jours furent nécessaires pour que l’Empire se remette de la lutte entre les trois dynasties et pour que soient rétablis l’ordre, les frontières et la paix. C’est ce que disent les histoires académiques tout du moins. La véritable vérité est peut-être qu’Oddembar’Seil le Sanguinaire eut besoin de plus ou moins six mille jours pour chercher, persécuter, exterminer les membres et les partisans des deux autres dynasties. Ce qui est certain c’est que tout le nord ne fut qu’un seul et même champ de bataille, et comme les hommes en ces temps-là n’étaient occupés à rien d’autre qu’à se battre, le port du nord resta paralysé et même les véhicules de transport de marchandises ne s’approchèrent plus de la ville des collines. La guerre, pour elle, était très loin ; la ville continuait d’être couverte de mousse et de lierre, qui s’épanouissaient dans les bassins et sur les corniches, abritant des bestioles colorées dans les anfractuosités des monuments et des fontaines de pierre, et elle perdura ainsi quasiment jusqu’à la fin et tout eût continué ainsi, pour toujours, peut-être jusqu’à aujourd’hui, si le Sanguinaire, qui méritait bien son sobriquet, n’avait pas été trahi par un général ambitieux.
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Et peu de temps après il y eut une autre révolte dans le sud et l’Impératrice veuve enfila ses vieilles frusques d’homme, revêtit son armure et se mit en marche comme tant d’autres gouvernants pour aller défendre l’unité de l’Empire. Et elle la défendit et la remporta lors d’un seul affrontement, à la bataille des Champs de Nnarient, où le sud inclina sa tête rebelle et défaite. Elle triompha parce qu’elle était vaillante, qu’elle croyait en ce qu’elle faisait, qu’elle savait diriger l’armée et que le chef de la révolte était un idiot. Un idiot beau et fervent, certes, mais un idiot.
Le Traité de Nnarient-Issinn, unique dans l’histoire de l’Empire, fut signé et le sud se soumit sans restriction et jura fidélité à l’Impératrice. Elle transféra la capitale à la frontière des contrées rebelles et des États du nord, puis elle épousa le fervent idiot. La capitale à la frontière fut un coup audacieux et stratégique qui assura la paix pour un nombre d’années bien supérieur à ce à quoi on aurait pu s’attendre s’agissant du sud mais il n’en fut pas de même pour le mariage de l’Impératrice et du chef des rebelles. Quoi qu’il en soit elle l’épousa car c’était son destin, comme disent les gens qui croient en ce truc qui consiste à naître avec les yeux ouverts. Moi je dis qu’elle l’épousa parce qu’elle fut une de ces Impératrices qui ont assez de pouvoir pour faire ce qui leur chante. Et ils furent heureux et il y eut encore plus de princes pour l’Empire et de sang neuf pour le trône mais on peut lire ça dans n’importe quel traité d’histoire ou dans n’importe quel recueil de poèmes d’amour, et d’ailleurs cela n’a aucune importance.
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– Oui, dit l’Impératrice, ce fut l’une des raisons, évidemment. Je ne t’ai pas appelé seulement parce que tu étais un bon conteur de contes, bien que cela jouât en ta faveur. Mais il y avait d’autres bons conteurs de contes, plus habiles, plus sages, plus prestigieux, et j’aurais pu choisir n’importe lequel d’entre eux, sauf qu’ils étaient plus habiles et plus sages parce qu’ils étaient plus vieux, parfois très vieux. Peut-être un jour seras-tu comme eux, et même bien meilleur qu’eux. Je crois en effet que tu le seras. Il était nécessaire que je puisse y croire, car mes fils, ceux qui vont s’asseoir sur le trône de l’Empire, ne doivent pas seulement être forts et sains et beaux, ils doivent aussi avoir ce grain de folie et de passion qui fait qu’un homme ou une femme peut voir l’autre monde qui est l’ombre de celui-ci et dans lequel celui-ci est l’ombre. Et maintenant, à demain.
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