Citations sur L'Odeur des jacynthes (18)
Je ne dévoile pas la beauté de mon rêve, je sculpte une hypothèse dans le marbre de la logique éternelle, je remplis avec de la chair nécessaire la cage du thorax, la courbure épineuse des vertèbres, les ailes rigides des grands papillons iliaques et les cavernes
De l'ischion. Il le faut. Je ne t'oublie pas, ô sacrum ! ni vous, fémurs ! Je dresse l'ossature tout entière et je la lie et je la soude avec le tissu souple des muscles, avec la peau, ce manteau juste qui donne à l'argile la forme extérieure que je veux,
La forme qu'il m'est impossible de ne pas vouloir, car elle est projetée dans mon atelier par les rayons mêmes de tes yeux, le rire de la bouche et les plis
Que fait ton cou, quand la tête se tourne vers moi pour m'éblouir. La roue d'un engrenage s'appuie sur une autre roue. Le geste qu'on voit ordonne le geste caché.
Les yeux butinent les âmes en butinant les yeux, car c'est par là que les âmes se penchent à la fenêtre et attirent les yeux et les engluent dans le miel de l'amour.
Le langage des yeux est très clair pour les amants et pour ceux qui ne le sont pas encore et pour ceux qui ne le seront jamais. Les yeux se font des discours entre eux.
La nature est géométrique, la beauté est géométrique. J'ai conclu : le corps que ma raison construit est naturel ; il est situé dans l'espace, comme tous les corps.
Ou le milieu ? Le milieu d'un corps est toujours important. Le centre n'est jamais métaphysique. C'est au centre que s'élabore l'équilibre et du centre que partent les radiations. Mais si le milieu n'est pas le centre, ni la mesure,
Ni la genèse ? Si le corps est engendré par une de ses parties hautes ou une de ses parties latérales ? La symétrie des corps vivants et organisés
Est pleine de surprises. Je réfléchis. Si je me construisais d'abord un ensemble, d'un coup de crayon hardi, comme en ont parfois les maîtres ?
Elle a un corps. Je ne m'en étais pas encore aperçu. Pourtant j'avais regardé ses cheveux, ses yeux, ses yeux surtout, j'avais touché ses mains ; je ne rassemblais pas tout cela en un faisceau vivant. Je ne l'ai découvert qu'hier : elle a un corps.
Mes déductions sont certaines. C'est en regardant sa voix qui sortait de sa bouche et en faisait vibrer les lèvres que cette idée s'est imposée à moi. Comme elle leva la tête, je vis que l'origine des vibrations était dans la gorge,
Qui se gonflait ou se creusait légèrement à leur passage. Et je vis que la gorge se prolongeait et s'affirmait par des mouvements plus amples et plus sensibles ;
La poitrine certainement repose sur le ventre et tout va ainsi jusqu'aux pieds qui sont les siens. Il n'y a plus aucun doute dans mon esprit. Elle a un corps complet, essentiel.
Elle est venue un soir d’hiver,
Un soir de brume et d’amertume.
Je rêvais aux rêves d’hier
Qui m’ont laissé seul dans la brume.
J’étais tout seul avec la vie
À qui je parlais du passé.
La triste, l’inclémente amie
Me répondait d’un ton lassé :
« Laisse les rêves d’autrefois
Dormir aux plis de leur suaire.
Ne réveille pas leurs émois,
Pense à des choses moins amères. »
Mais moi, je rappelais mon rêve
Ou bien je reprenais le livre
Que je lisais alors sans trêve,
Que je lisais comme on s’enivre ;
Les heures s’en allaient très lentes,
C’était un soir d’ennui amer.
Un soir de mortes et d’absentes,
Je rêvais aux rêves d’hier.
Elle est venue un soir d’hiver.
Ses yeux déchirèrent la nue
Elle est venue, c’était hier.
Elle est venue.
Je voudrais t'emporter dans un monde nouveau
Parmi d'autres maisons et d'autres paysages
Et là, baisant tes mains, contemplant ton visage,
T'enseigner un amour délicieux et nouveau,
Un amour de silence, d'art et de paix profonde :
Notre vie serait lente et pleine de pensées,
Puis, par hasard, nos mains un instant rapprochées
Inclineraient nos cœurs aux caresses profondes.
Et les jours passeraient, aussi beaux que des songes,
Dans la demi-clarté d'une soirée d'automne,
Et nous dirions tout bas, car le bonheur étonne :
Les jours d'amour sont doux quand la vie est un songe.
Les cœurs dorment dans des coffrets
Que ferment de belles serrures ;
Sous les émaux et les dorures
La poussière des vieux secrets
Et des lointaines impostures
Se mêle aux frêles moisissures
Des plus récentes aventures :
Chère, ôtez vos doigts indiscrets,
Les cœurs dorment.
Vos doigts ravivent des blessures
Et vos regards sont des injures,
Laissez-les reposer en paix.
Comme des rois dans leurs palais
Ou des morts dans leurs sépultures,
Les cœurs dorment.
Heure, ami, crépuscule, et le plaisir des mules
Et les pleurs de la roue et l'ange qui s'envole :
Ferme tes poings, dors-toi dans l'astre de ton rêve :
L'escadre des méduses tombe et crève sur les grèves.