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Critique de Antyryia



Mon premier polar scandinave ... n'en n'est pas vraiment un.
Dans la préface signée Marc de Gouvenain, on apprend d'ailleurs que les intentions de la suédoise Sara Lövestam étaient autres : écrire un roman sur des gens en marge de la société. Comme elle l'avait déjà fait dans Différente, dans lequel l'héroïne était amputée des jambes. Et pourtant, Chacun sa vérité a bel et bien reçu le prix de l'académie suédoise des auteurs de polars.
Au final, il y a deux lectures de ce roman. Une enquête certes, même si on est loin des stéréotypes en la matière, et surtout une rencontre : celle de deux êtres blessés et exclus par la société.

Le héros est détective. Il se fait appeler Kouplan. D'origine iranienne, il est réfugié en Suède où il attend désespérément un titre de séjour, des papiers d'identité. A l'inverse d'autres détectives célèbres, il n'a aucun contact avec la police. Il ne travaille ni ne collabore avec elle. Kouplan, la police, il l'évite, il la fuit, il en fait des cauchemars. En particulier la police des frontières.
"Son propre destin lui apparaît, inconcevable, irréel : né dans un pays chaud, de parents tous deux diplômés, il en est aujourd'hui réduit à fuir la police, dans le froid glaçant d'un mois d'octobre suédois tel un vulgaire hors-la-loi."
Quant au métier qu'il exerce, ça n'est pas une vocation. C'est davantage son idée de reconversion, lui qui est ancien journaliste. Parce qu'il doit bien gagner sa vie, et un clandestin n'a pas un large éventail de choix. Et il faut bien qu'il paye son loyer, qu'il mange ( rarement à sa faim ) et qu'il s'habille.
Autre particularité de l'enquêteur Kouplan : la génétique lui a joué un bien mauvais tour. Il a vingt-cinq ans mais les gens lui en donnent entre douze et dix-huit grand maximum. Son visage juvénile empêche parfois les autres adultes de le prendre au sérieux, mais il sait très bien convertir cette particularité en avantage quand les circonstances s'y prêtent ( "On peut en vouloir à la génétique, ou l'utiliser à ses fins.", "Physiquement, tu as plutôt l'air d'en avoir douze, mais mentalement, on dirait que tu en as cent." )
Il passe donc une annonce, se proposant de résoudre des énigmes pour les personnes préférant ne pas pas avoir affaire aux forces de l'ordre. C'est Pernilla qui va le contacter, le second personnage abîmé du roman. Sa fille Julia, six ans, a été enlevée. Elles se promenaient dans la rue, toutes les deux, et quelques secondes d'inattention seulement auront suffi. Julia a disparu depuis plus d'une semaine désormais et sa mère ne peut contacter la police. En effet, tout comme Kouplan, sa fille n'a aucune existence officielle en Suède. Sa naissance n'a jamais été déclarée. Pernilla avait accouché seule, sans aide extérieure, pas même celle du père qui ne voulait déjà plus entendre parler ni d'elle ni de sa fille. Il faut dire aussi que les services sociaux avaient décidé de lui enlever sa fille dès la naissance.
Deux fantômes administratifs, sans réelle existence. Et le premier doit donc se lancer à la recherche du second.
On comprend mieux l'existence d'associations telles que Ingen människa är illegal, "Un être humain n'est jamais illégal", citée dans les remerciements.

On a bien un aspect policier dans ce roman. Qui se situe à la croisée des chemins entre le roman psychologique, policier et social. Mais l'enquête menée par un immigré clandestin nous éloigne fortement des clichés habituels. Malgré l'intelligence de Kouplan, s'improviser détective n'est pas si facile et donne lieu à une enquête inhabituelle, parfois maladroite ( "Jusqu'ici les méthodes d'investigation de Kouplan se sont révélées parfaitement inopérantes." ). Les armes de Kouplan, pour résoudre cette énigme, ce sont google, ses relations au kebab du coin, ses capacités de déduction, de manipulation ou de physionomiste. Ses interrogatoires ressemblent souvent davantage à des questions indiscrètes posées par un enfant à d'éventuels témoins. Il met à profit sa connaissance de quatre langues, parmi lesquelle le suédois ( appris en regardant des films ) ou le persan. Ses pistes l'emmèneront vers un réseau de trafic de filles d'Europe du Nord, un pasteur qui a des choses à cacher sous couvert du secret confessionnel ou vers le père indigne de l'enfant, Patrik. Sans omettre sa cliente elle même, qui semble lui cacher des choses.
"Impossible de fonder une analyse sérieuse sur des données aussi peu fiables que les récits de Pernilla.", "Elle cache quelque chose, une corde sensible, un souvenir pénible, une douleur."

Les thèmes abordés sont graves : Enlèvements d'enfants, meurtres et prostitution infantile, clandestinité, racisme ("C'est grâce à nos impôts que les gens comme vous ont de quoi vivre." ), difficulté de trouver une place dans une société aux règles préétablies. Et pourtant, la dimension tragique d'un livre qui pointe du doigt certains malaises de société est à relativiser, j'ai ressenti une forme de nonchalance et d'innocence dans l'écriture, dans la façon dont les évènements nous étaient racontés et dans la maladresse et la gentillesse des deux personnages principaux. Peut-être pour mieux retranscrire que pour eux, ces conditions d'existence sont juste à accepter, faute de mieux.
L'enquête est aussi l'occasion de nous faire visiter un Stockholm méconnu, l'enlèvement d'une fillette étant un clin d'oeil au syndrome bien connu de cette ville.
L'auteur utilise avec parcimonie quelques trompe l'oeil pour désorienter son lecteur.
La vérité se devine cependant bien avant la fin, et pourtant, l'intérêt du roman se poursuit d'autant plus que Sara Lövestam réserve encore quelques belles surprises qui valent la peine de continuer.

Peut être pas un roman dont je me souviendrais toute ma vie, qui aurait gagné en dramaturgie pour mieux faire passer ses messages, mais une histoire originale, sensible, inclassable et hélas particulièrement d'actualité, que devraient lire certains politiques. Les meilleurs citoyens ne sont pas toujours de la nationalité requise.

"Etendue de tout son long par terre, cette femme blonde d'une petite quarantaine raconte en son âme et conscience ce qu'elle a vécu. Mais à chacun sa vérité."
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