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Critique de CritiqueOuest


Un beau ténébreux, Julien Gracq, Editions Corti, publication originale 1945

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La vie, selon Gracq, est une fête… sans lendemain.
Formellement, le texte se présente comme un portrait psychologique rétrospectif. L'histoire, elle, en soi assez convenue, tient dans l'archétype du beau ténébreux dans la littérature européenne. Elle se présente, sans surprise ni coup de théâtre, pour ce qu'elle est. Dans la poétique romanesque gracquienne, l'économie dramatique, la temporalité et le rythme sont comme abolis, relégués derrière l'imagerie romantique de la noirceur désirable et derrière la force d'aimantation d'un seul être.

Une bande d'estivants fortunés brûle la vie par les deux bouts dans une station balnéaire quelque part en Bretagne, multipliant les plaisirs faciles de la haute société, sans pour autant chasser l'ennui. le casino, les soirées mondaines, la baignade et le golf n'y changeant rien, ce qui sort vraiment de l'oisiveté la « bande straight » c'est la séduction trouble exercée par l'arrivée d'Allan Murchison indifféremment sur les deux sexes. Si bien que ce paradis élitiste de happy few intronise ce dandy néo-arrivant chef de file, l'échine courbée à renforts de génuflexions devant les poncifs de la supériorité et du magnétisme inégalables. Et, ces singulières vacances sans fin se prolongent au-delà du raisonnable dans les écumes froides de septembre, personne ne parvenant à se défaire de son charme spongieux.

Ce qui tient du prodigieux en revanche, c'est la scénographie qui ordonne les bruissements de la géographie et des corps, laquelle semble devoir suppléer une trame cousue de fil blanc dans les Ténèbres : un style somptueux étourdissant de lyrisme qui porte jusque sur la rive droite du Tibre dans le château de Saint-Ange offrant son triste final à la Tosca, des descriptions qui tiennent de la révélation de mystères sacrés ou de l'éloge de la Mer, l'espace clos de l'Hôtel des Vagues haut lieu de la vacuité propice à la disponibilité des personnages à vivre le drame annoncé !

Une fois ce decorum posé, la surprésence du symbolisme romantique (rêveries lasses et désenchantées des personnages, décompte des heures usées sans but, contemplation du fracas des vagues, vision du bûcher du poète Shelley, inconstance de la lune The inconstant moon qui alarme Roméo chez Shakespeare…) conduit inéluctablement à l'exaltation du désordre et des grandes passions. S'ennuager dans le monotone ou rêver d'en extraire l'extraordinaire ? Sans avoir cure du lendemain, l'incandescence et l'enivrement font salle comble une saison entière.

Les portes de l'imagination et de l'intertextualité sont laissées ouvertes et ballantes au lecteur, qui de description n'aura que celle du paysage. Il est libre de se représenter le personnage éponyme… d'y voir un successeur digne dans le mystérieux visiteur du Théorème (Teorema) de Pier Paolo #Pasolini qui bouleverse un à un les membres d'une famille bourgeoise italienne et les condamne par son départ à un dérèglement de tous les sens … ou d'y trouver un illustre prédécesseur dans le personnage de Julien Sorel jouissant par avance de son exécution. Bénédiction accordée par Stendhal.

Gracq donne ainsi à lire une conception tragique de l'existence humaine frappée de désenchantement, menée par une poétique de l'abjection et de la déviance «Le diable c'est toujours l'oblique ».
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