AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,72

sur 119 notes
5
3 avis
4
5 avis
3
8 avis
2
1 avis
1
0 avis
Ce roman est une construction littéraire subtile et élaborée reposant sur une trame narrative simple : l'histoire d'un homme venu rejoindre un groupe de jeunes gens en villégiature dans un hôtel en bord de mer, se finissant par son suicide probable. Il me semble que le vrai sujet de ce roman est la littérature. A partir d'une intrigue ténue et par la magie de son écriture et de ses multiples références, Gracq nous montre comment peu à peu un roman prend forme. Pour cela, il s'attache à rendre singulier ce qui pour le commun des mortels n'est que banalité voire même indiscernable. Les éléments fournis par l'auteur au lecteur sont souvent peu aisément déchiffrables et ouvrent grand la porte des suppositions romanesques. Tout semble enveloppé ou isolé dans la brume. Et le lecteur est plongé dans l'incertitude. La construction du roman renforce ce sentiment : aux trois-quarts du livre, le journal écrit à la première personne par le premier narrateur Gérard fait place à un récit reconstitué par un nouveau narrateur indéterminé. Gracq joue avec le temps (le rythme du journal intime et la durée prolongée de ces vacances d'été) et avec l'espace. Dans les deux cas, la notion de vacance est importante. Souvent les personnages se retrouvent face au vide des grands espaces (typiquement face à la mer). Cette situation est selon moi une façon pour Gracq de montrer comment des personnages se retrouvent en situation d'échapper à la toile d'araignée de la vie non romanesque, comment ces personnages sont placés face à la tentation de l'évènement , face à l'exaltation d'une autre vie. Ce roman peut paraître parfois étrange et vide. Il est en tout cas soutenu par la langue magnifique de Julien Gracq.
Commenter  J’apprécie          280
Bien plus que le roman qui "construisit" définitivement la langue sans pareille de Julien GRACQ, "Un beau Ténébreux" [1945] est sans doute l'ouvrage où elle s'y révéla dans toute sa plénitude, son incommensurable richesse... et ce dès son retour de captivité. Cette Matière de Bretagne fut patiemment approchée, élaborée et composée entre les années 1942 et 1945... Livre-charnière, Grand Port de départ pour l'une de ces traversées sans retour envisageable (ni même souhaitable) : frêle embarcation où le passager de hasard s'arc-boute au long de chaque phrase enchantée, laissant se dérouler chronologiquement ses scènes cinématographiques, toutes d'une étonnante profondeur et d'une parfaite fluidité pour le plus fascinant des voyages.

"Au Château d'Argol", quoi qu'on en dise, restera un ouvrage de jeunesse, d'une bien moindre lisibilité et d'une amplitude réduite (malgré les belles couleurs de brume, d'embruns et de feuillages s'agitant derrière les fenêtres du Castel qu'il projette toujours dans notre esprit aujourd'hui : GRACQ avait — ou, plutôt, déjà était — l'âpre "Génie du Lieu") : cet énorme bloc de granit détaché des murailles et tombant ainsi dans la marigot parisien permit au moins à son auteur d'être "reconnu" par André BRETON dès 1938 et d'exister quelque peu aux yeux du microcosme des Gens-de-Lettres du moment (on a fait bien pire depuis), et surtout à notre Milan Royal (si "provincial", au fond) de prendre lentement, sereinement son envol...

Dès la scène introductive (ce "Hors Saison" cher à la mélancolie de Francis CABREL...), chaque mot sonne juste dans ce "Rien de Commun" (mantra, voire mot d'ordre, de l'éditeur José CORTI), tout doucement et parfaitement inséré dans les phrases méandres vertigineuses que l'on connaît désormais... Emportés par le courant, nous sommes... Ce fleuve inaltérable et puissant, sans âge, où chaque nuance sensorielle participe au tableau vivant, chaque touche de couleur vibrante, chaque groupe de mots parfaitement assortis résonne et évoque l'image vivante patiemment construite. Phrases enchanteresses dont le brouillard se lève peu à peu et nous laisse dans un état second (un bel état modifié de notre conscience), transi de gouttelettes de rosée et de fleurs de sel mêlées...

Belle et mystérieuse sensation, pourtant familière aux lecteurs de Julien Gracq du... "On n'a jamais écrit ceci ET comme ceci auparavant"... [*]

Nous disons ? "On n'a jamais écrit ceci ET comme ceci auparavant"...

Puisqu'on voyage à l'infini à l'intérieur des phrases. Qu'on s'y sent étonnamment bien. Prenez place dans le trois-mâts qui vient d'arriver à quai. Peu de monde se presse sur ce quai-là, cela tombe bien pour nous !!!!

Bizarre ce livre... On nous prépare au suicide. On porte la mort en nous, on anticipe la perte d'un être, notre propre fin aussi... "The Masque of the Red Death" ["Le Masque de la Mort Rouge", 1842] d'Edgar Allan POE... La présence/omniprésence/absence d'Allan (Mutchison, le "Beau Ténébreux" nervalien du titre), astre solitaire s'il en est, semble bien celle, immanente, de l'auteur de ses jours incertains... Gracq, gouverneur par ailleurs des mêmes jours incertains de Gérard (narrateur de la presque totalité du récit), de Gregory (qui fuit avant le drame résolutif, impatiemment attendu de tous), de Jacques ("L'Adolescent"), d'Henri (qui s'égare dans les brumes), de Dolorès (complice et initiatrice en pensées funèbres), d'Irène (son bon sens bien en place sur ses épaules de chair) et de Christel l'amoureuse...

Tous ces autres lui-même ou "masques" de l'auteur qui de Gérard en narrateur inconnu des premières et dernières pages, nous parle par leurs lèvres, leurs pensées, narrations et actes depuis leur "petit théâtre balnéaire estival" appareillant doucement vers le Grand Large et la mauvaise saison....

Un modèle possible du cher Allan Mutchison pourrait-il se retrouver en la personne d'André BRETON ? On pense à l'attractivité d'un astre solitaire, au charisme lumineux ou maléfique d'un (presque) involontaire "chef de clan"... d'une tête pensante, d'un esprit définitivement LIBRE...

AllAN MutchisON / ANdré BretON... sauf que Breton n'a bien sûr fondé au grand jamais la moindre Ecole du Suicide (bien au contraire, sa devise fut vite : "Plutôt la vie !") ni posé aucun acte ou tenu aucun propos qui puisse alimenter "The suicide club" ["Le Club des suicidés", 1878] de la nouvelle de Robert-Louis STEVENSON ... mais juste posé, en son temps, quelques questions existentielles...

On connait le texte fameux de la revue "La révolution surréaliste" fin 1924, dû à André Breton : " On vit, on meurt. Quelle est la part de la volonté dans tout cela ? Il semble qu'on se tue comme on rêve. Ce n'est pas une question morale que nous posons : LE SUICIDE EST-IL UNE SOLUTION ? "[**]

Voici pour les fort saines interrogations.

Et maintenant, quelques morceaux choisis, pour ne jamais "conclure" (contrairement à notre infortuné Allan, victime de sa propre mécanique fatale)...

" Les amants de Montmorency " annonça Jacques, de sa voix la plus naturelle.
Le visage d'Irène, s'il exprimait quelque chose, manifestait en ce moment qu'elle refusait d'en croire ses yeux.
— Que dites vous ?
— Voyons, Irène, c'est un poème bien connu De Vigny. Deux jeunes amoureux, décidés à en finir avec la vie, s'en vont passer un week-end à Montmorency. Au bout du week-end, ils se tuent ensemble. C'est tout. "

[...]

" Trouvez-vous vraiment d'un bon goût extrême de venir promener au milieu de cette fête la mort en toilette de bal ? "

[Julien GRACQ, "Un beau Ténébreux", Librairie José Corti (Paris), 1945, pages 174 et 175 de sa rééd. en 1975]

___________________________________________________________________

[*] Quelques ânes humanoïdes (qu'on aura sans doute oublié de bâter) oserons proférer : "écriture surannée"... La richesse de la langue française est, certes, un impressionnant océan devant laquelle certains prendraient peur... Soyons indulgents et laissons les brouter leurs machins habituels à pensée unidirectionnelle, surlignés façon fluo, farcis des cent mille clichetons habituels, à réchauffer directement au micro-ondes... [Eh oui, discours élitiste, et on assume, et on assume, les aminches !!!!] :-)

[**] Cf. "Rouge surréaliste. le suicide chez les avant-gardes. Oeuvre d'art totale ?" par Hélène MATTE, Inter, Art actuel, Numéro 101, hiver 2008–2009, document illustré,10 pages : https://id.erudit.org/iderudit/45495ac
Commenter  J’apprécie          241
L'argument du roman est faible et toujours développé à zéro à l'heure comme dans " le rivage des Syrtes". Mais, ici les belles phrases et le maniement parfait de la langue française qui font le bonheur du lecteur dans "Le rivage des Syrtes" sont noyés dans des digressions à n'en plus finir qui ressemblent fort à un étalage de culture générale artistique voire même à de la pédanterie. Et, je me suis ennuyé à cette lecture qui renvoie à une forme de composition ultra surannée.
Commenter  J’apprécie          173
Beau ? Je ne saurais dire car l'auteur ne s'étend pas sur le physique d'Allan. Ténébreux ? Alors là oui ! Cet aspect de l'énigmatique Allan est développé à profusion, de la perception qu'en ont les autres personnages jusque dans ses mémorables discours. Doté d'une personnalité sombre mais magnétique, il arrive comme un cheveu sur la soupe et viens chambouler les habitudes d'un groupe de jeunes gens ayant développé une complicité lors de leur séjour dans un lieu de villégiature au bord de la mer. Le roman m'a semblé avant tout psychologique, explorant la dynamique du groupe de personnages. Ces camarades s'échangent des propos d'une profondeur inouïe. Il y a peu d'action, mais c'est très intense. La lecture est un peu ardue ; l'écriture de Julien Gracq, que je découvre avec ce livre, est cérébrale, d'un niveau relevé et hautement poétique. L'histoire m'a plu et je ressors admiratif de cette lecture.
Commenter  J’apprécie          142
Mais comment fait-il? Comment fait ce cher Gracq pour nous surprendre une fois de plus par l'efficacité de son écriture? cela fait le troisième roman que je lis de ce génie, et je suis encore impressionné par sa plume. En un seul livre, en une seule histoire, vous trouvez tout à la fois un récit où chaque mot à son importance, une écriture où vous pourrez apprécier la plus belle des poésies; et un nuage sur lequel vous vous allongez en vous laissant simplement bercer, sans même chercher à comprendre où vous êtes et où vous allez.Faille dans le cadre spatio-temporel, Julien Gracq est jusqu'à présent le seul auteur capable de m'emballer de cette manière, de me surprendre encore et toujours, de me faire voyager aussi loin grâce aux mots. Entre poète et artiste, guide et auteur, c'est pour moi LA figure littéraire du XXème, même si tout le monde ne sera surement pas d'accord avec ça.
Vous l'aurez compris, n'hésitez pas une seule seconde à lire un de ces livres (et notamment celui-ci ou Au Chateau d'Argol), ne serait-ce que pour découvrir son écriture et son style si particulier, si envoûtant surtout.
Commenter  J’apprécie          106
Peut-être vais-je me faire huer mais tant pis : il faut avoir le courage de ses opinions et on ne peut pas tout aimer. Peut-être aussi ai-je trop de goût pour les morceaux de bravoure et les fresques en tous genres pour être à même de savourer comme il se doit ce genre d'intrigues plus que ténues.

Car je suis désolée : l'intrigue d'"Un Beau Ténébreux" est si ténue qu'on peine à l'apercevoir. Ca se passe en Bretagne, dans un très beau coin qui s'appelle "La Torche", dans le Finistère - et que je vous recommande chaudement d'aller visiter si vous en avez l'occasion. le premier narrateur, Gérard, y est descendu à l'Hôtel des Vagues. Comme c'est l'été, il y a là beaucoup de vacanciers, des jeunes essentiellement, la bande "straight".

Gérard noue connaissance avec Christel - une Romantique revue à la sauce moderne car nous sommes dans l'immédiate après-guerre. Celle-ci se veut un personnage à l'Emily Brontë, entière, pleine de mépris pour qui ne l'est pas, etc, etc ... Ils vont se promener au clair de lune et c'est là d'ailleurs que Gracq commence à comparer les plages bretonnes aux blancheurs sahariennes ! (Au début, ça m'a estomaquée. Mais comme il continue tout au long du roman, ça a vraiment fini par m'énerver ! ...)

Puis arrive un couple, Allan Murchison et sa maîtresse, Dolorès. Déjà, quand ils pénètrent pour la première fois dans le restaurant, le ton est donné : les gens s'arrêtent de bavarder tant ils sont beaux. Avec ça, Allan a déposé un million de francs - en liquide - dans le coffre de l'hôtel : c'est vous dire le statut et que ce soit le dernier million d'Allan ne change rien à l'affaire.

Non seulement Allan est beau mais en plus, il est Romantique - avec la majuscule, c'est-à-dire que déjà, enfant, il n'y avait qu'une seule chose qui l'attirait : la Mort. A lire les descriptions de son séjour en pension, on évoque le Steerforth de Dickens - mais "Un beau ténébreux" n'est pas "David Copperfield", hélas !

Donc, on comprend très, très vite que - pour des raisons que je n'ai pas saisies car enfin, se compliquer autant l'existence que le fait cet Allan, franchement, on ne peut le faire que si on n'a pas d'autres soucis - le "Beau Ténébreux" a choisi l'Hôtel des Vagues pour marquer son mépris absolu de tous et de tout en se suicidant. (Il choisit, pour se trucider, un mode assez peu viril à mon sens mais très Romantique : il s'empoisonne.)

Il y a de superbes descriptions de paysages (hormis les visions sahariennes, je n'ai rien contre) et beaucoup d'intériorisation avec des passages sur le christianisme et Jésus. le style est remarquable même si Gracq donne parfois l'impression - un peu comme Huysmans - de trop rechercher l'adjectif non pas rare mais inattendu pour obtenir un effet de décalage forcé avec le substantif.

Seulement, le problème, avec un style pareil, c'est qu'il faut lui donner des personnages et une histoire à sa mesure, toute en recherche de la perfection classique. Or, tel n'est pas le cas dans "Un Beau Ténébreux" dont les personnages et la trame s'oublient aussitôt qu'on a refermé les pages de l'ouvrage.

Ce roman m'a évoqué l'univers de Delly, celui de Sagan et, également, celui de Mauriac ou de Julien Green. Avec cette différence, pour moi flagrante, que tous ces auteurs, chacun dans un genre différent, parviennent à des dialogues naturels. A l'opposé, les personnages de Gracq souffrent d'un manque total de naturel et cela n'est jamais aussi apparent que dans les dialogues. A haute voix, c'est encore pire : on dirait que le romancier s'écoute écrire !

Vraiment, je suis déçue par ce roman qui m'a paru superficiel et rien que cela, mais je le suis tout autant par ma propre réaction. Difficile à comprendre mais c'est ainsi ... ;o)
Commenter  J’apprécie          103
Après le château d'Argol, roman monolithique dans son élégante noirceur, Gracq joue des contrastes. Son théâtre est maintenant un hôtel balnéaire à l'affiche commerciale, l'Hôtel des Vagues, où la bande « straight » s'offre deux mois de vacances et les divertissements convenus : bains, golf, soirée dansante, bal masqué, échecs, jeux d'argent. Aussi la rêverie baudelairienne : « L'orchestre jouait Stormy Weather et je me suis senti soudain un incroyable vague à l'âme. Goût d'une ville d'Asie dévalant sur les eaux dans le fouillis de ses jonques, comme la cale d'un port dans sa crème de bouchons et de bois flottés, clapotante au soleil du soir avec la marée, le labyrinthe de ses toits, de ses mâts, de ses vérandas branlantes, ses parfums tout puissants où se résout l'effort de vivre — ses parfums noirs. Les parfums : Une des rares choses qui pour moi enrichissent la vie. L'incroyable timidité de notre civilisation devant les odeurs. Un parfum de grand couturier : à cela seul on peut mesurer l'amaigrissement de la sensualité moderne. Il faut toute l'épaisseur de la tradition catholique pour imposer encore sans scandale un arôme aussi corpulent, d'une présence aussi assurée que celui de l'encens » (p 48-49). (Lire aussi « la rumeur de voyage » p 121, trop longue pour être citée).

Surviennent Allan, le coeur du récit, et sa parèdre Dolores « cette femme d'une si rare, d'une si extravagante beauté » (p 75) dont nous ne saurons rien, et la promenade prémonitoire au château de Roscaër, réminiscence d'Argol où commencent le mystère et la prise de risque. Mystère pour les comparses, car le lecteur reçoit toute une série d'avertissements, le calendrier, le révolver, le costume tâché de sang, la mortelle perfection d'un Allan érotisé qui excelle en tout, échecs, piano, sports, pilotage, culture, perspicacité, tous les indices d'une « sortie héroïque » quand les autres, dont le rédacteur du journal, sont des admirateurs aveuglés : « C'était sur cette sauvage esplanade, toute crépitante au matin gris des décharges marines, comme le lit d'une femme qui se retourne après la nuit, lourde et fatiguée, que j'avais donné rendez-vous à Allan. Comme sept heures sonnaient, je le vis venir de loin par le bord de la mer, longue silhouette nonchalante, élégante — insolite de vivacité dans le matin blême. Un demi-sourire ironique sur les lèvres tandis qu'il m'abordait : j'avais en face de moi, fermé, désinvolte et tendu, le joueur de poker décidé à mener jusqu'au bout ses chances » (p 173).

À l'aise dans les ambiances incertaines, les mouvements d'humeur du ciel et de la mer, la confidence, les correspondances, en fait dans le poème en prose, trop généreux dans les citations, Gracq est curieusement maladroit dans le dispositif romanesque. le journal de Gérard constitue les trois quarts du livre, chargé de longues lettres et de dialogues où les interventions d'Allan — et celles de Gérard soi-même — dépassent largement la page, avant de s'interrompre abruptement p 192 (« Ici finit le journal de Gérard »), pour laisser place au narrateur omniscient, sans doute pour s'approcher au plus près du suicide attendu. Gracq trouvera sa dimension romanesque dans le Rivage des Syrtes avant de se consacrer à la nouvelle, à l'analyse, à la critique.
Commenter  J’apprécie          90
Extraire d'un absolu cliché romantique la rare essence surréaliste des témoins du Desdichado.

Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2016/01/12/note-de-lecture-un-beau-tenebreux-julien-gracq/

Lien : http://charybde2.wordpress.c..
Commenter  J’apprécie          70
La phrase est un peu longue, mais tellement bien rythmée! le choix des mots révèle l'amour que porte Julien Gracq à la langue. On se laisse d'emblée happer par le charme un peu désuet de sa poésie. Dans une ville balnéaire à l'automne, le fantomatique narrateur traîne sa mélancolie. Les premières lignes offrent une sorte de travelling aux couleurs pastel qui part de la plage pour emprunter les avenues qui s'enfoncent dans les pins. L'écriture est très cinématographique, mais sans "chabadabada". L'atmosphère devient vite angoissante.
Julien Gracq situe son roman à Kérantec, toponyme imaginaire, mais évidemment en Bretagne. C'est le journal de Gérard qu'il nous livre, après le magnifique prologue, du 29 juin au 24 août. Gérard a un double féminin : Christel. A l'hôtel des Vagues, ils observent un groupe de jeunes gens turbulents, ils contemplent la plage du haut de la fenêtre de sa chambre pour l'un, et de son balcon pour l'autre, tel Palomar d'Italo Calvino qui de sa terrasse assiste au spectacle du monde. Leur attention va se trouver focalisée sur un homme extraordinaire, Allan. L'imminence d'une catastrophe est très vite annoncée. Comme dans les tragédies grecques, la course vers la mort ne peut être empêchée.
L'écriture de Julien Gracq dévoile un être au tempérament de feu sous une apparente retenue, elle est très sensuelle et s'attache par exemple souvent à décrire les parfums ambiants. Elle est aussi très sensible et pleine d'une poésie mélancolique. Au prétexte de souvenirs évoqués par son personnage, il confie, comme un secret, l'attachement qu'il a conçu pour un site des bords de Loire qu'il contemple du train, à son passage entre Angers et Nantes. On devine une grande part de projection de l'auteur et de son vécu intime dans ces pages de fiction. Il s'agit de son deuxième roman seulement, publié en 1945. le beau ténébreux, c'est bien évidemment Julien Gracq lui-même.
Le roman semble porter l'héritage des auteurs fin de siècle et baigne dans une atmosphère très sombre, souvent onirique. Les personnages, sans qu'on sache pourquoi, sont sur le fil du rasoir, au bord d'un gouffre. Quel profond désenchantement a pu dicter ces lignes d'où émane pareille désillusion? Sont-ce les effets de la guerre encore récente?
Aucun suspense ne soutient le récit puisque la fin est clairement énoncée au travers de rêves et de prémonitions des personnages. Si l'ouverture du roman est superbe, la troisième partie en revanche est plutôt pesante et grandiloquente. Elle est certainement moins appréciée du lecteur moderne.
Commenter  J’apprécie          61

J'ai eu envie de lire ce livre parce qu'un autre livre en parlait, mais je ne sais plus lequel. de toute façon, peu de choses à jeter chez cet auteur, il s'agit davantage de choisir dans quel ordre on lira ses livres...

Ce que j'aime chez Gracq, c'est qu'on a l'impression de se trouver dans la peau et dans la cervelle de ses personnages, plus particulièrement ici celles de Gérard, le narrateur qui nous conte un fragment d'histoire de ce beau ténébreux, Allan, au travers d'un journal de vacances en Bretagne.

Une fois de plus, Gracq invente les lieux de l'intrigue... mais on ne s'en aperçoit que si on les cherche sur une carte. Les personnages sont tout aussi crédibles, quatre célibataires et deux couples en vacances dans cette petite station balnéaire, où ils prolongeront leur séjour bien au-delà de l'été... Comme souvent dans les romans, ils ont le loisir de s'attarder, de vivre jusqu'au bout ce qu'ils sentent ou pressentent, de laisser se dérouler les évènements jusqu'à leur dénouement, pour en tirer peut-être toutes les leçons, ou au moins les avoir vécu dans leur intégralité, même si leur mystère in fine reste en partie insondable...

Il est question ici de la condition humaine, du statut qu'on se donne ou que les autres veulent bien vous accorder par le regard qu'ils portent sur vous... sans vous protéger pour autant. Les six personnages, dont certains ne se connaissaient pas avant ce séjour, recréent une mini société où s'exprime toute la complexité des rapports humains. Comme toujours chez Gracq, les sentiments sont dénudés, exposés sans fard, dans leur grandeur comme dans leur trivialité, sans jugement de valeur non plus : juste l'humain aux prises avec l'habituelle difficulté à vivre, avec ses désirs et ses peurs, ses pulsions plus ou moins contrariées par les règles de la vie sociale.

Les paysages, toujours décrits avec minutie, forment un écrin pour l'âme, produisant ou accompagnant l'état d'esprit des personnages, on ne sait pas très bien quoi s'accorde à quoi...

Toute l'histoire tourne autour d'Allan Murchison, personnage haut en couleur qui concentre tous les regards dès qu'il pénètre quelque part, et dont on comprend mal ce qu'il est venu faire dans cette station balnéaire sans prétention, lui qui semble fait pour le faste. Admiration, jalousie, défiance, passion, il déchaîne les sentiments tout autant qu'il intrigue. On finira par savoir ce qu'il est venu faire ici, si bien pressenti par son ami Gregory qui a préféré fuir le théâtre des opérations. On ne saura pas vraiment pourquoi il en est arrivé là, même si on le pressent... Dans l'intervalle, on aura pu observer les réactions qu'il suscite, révélant un peu de la nature de chacun des protagonistes de l'histoire...

Lien : http://aimez-vous-lire.blogs..
Commenter  J’apprécie          51




Lecteurs (276) Voir plus



Quiz Voir plus

900ème : Spécial Julien Gracq

Julien était bel homme, on le qualifiait parfois de beau ...?...

spécimen
ténébreux
gosse
Brummel

11 questions
26 lecteurs ont répondu
Thème : Julien GracqCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..