AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Eric75


Bien mieux écrit (ou mieux traduit) que le brontosaure du roman d'espionnage estampillé Graham Greene lu précédemment (L'agent secret, 1939) et dont on visualisait assez bien les scènes en « noir et blanc » et les dialogues sous-titrés, celui-ci nous plonge d'emblée dans le genre aventure exotique en Technicolor sur écran large, avec odeurs de rizières et de poudre. Ce n'est pas pour rien qu'Un américain bien tranquille (1955) a été adapté deux fois au cinéma, la première par Joseph Mankiewicz en 1958 (avec Michael Redgrave) et la seconde par Phillip Noyce en 2002 (avec Michael Caine).

Nous sommes à Saigon en 1952. le narrateur, Thomas Fowler, correspondant de presse britannique cynique et désabusé, couvre les événements de la guerre d'Indochine. Un peu compliquée à comprendre, celle-ci oppose les Français qui tentent de conserver le contrôle des routes et des villes, et le Viet-minh indépendantiste et communiste. Mais il existe également une « troisième force » soutenue par les américains : les troupes du général Trinh Minh The, qui a pris le maquis (ou plutôt la rizière) pour combattre à la fois les Français et les communistes, sans parler des armées privées détenues par des sectes religieuses, les Hoa Haos et les Caodaïstes qui sévissent dans la région.

Le livre, tout comme le film de Phillip Noyce, ont été considérés comme anti-CIA et anti-américains (Joseph Mankiewicz a complètement modifié le scénario initial pour son film, afin de préserver la réputation de l'Oncle Sam). Graham Greene, dont la carrière dans les renseignements britanniques n'est un secret pour personne, suggère que les Américains auraient aidé des poseurs de bombe agissant contre des ressortissants français et vietnamiens à Saigon (cet épisode peu connu constitue pour moi une découverte, mais là n'est pas l'essentiel du livre).

Le côté historique et géopolitique, pour intéressant qu'il soit, ne doit pas occulter le thème principal du livre : l'histoire d'un triangle amoureux composé de Fowler, de l'insaisissable Phuong, sa petite amie vietnamienne, et de Pyle, l'Américain bien tranquille, dont on apprend la mort au début du récit. On découvre cette histoire dans un long flashback, avec le point de vue de Fowler, épris de la jolie Phuong, qui dévoile très vite des talents cachés, comme sa dextérité lors de la préparation des pipes, etc. L'opium est il est vrai plus politiquement correct que le pudiquement exprimé « etc. » en 1955, vu le nombre de pipes consommées dès le chapitre 1 par Fowler, certes accablé par le chagrin et le remord après la perte de son ami. On comprend progressivement que le gentil et naïf Pyle est en fait un agent infiltré de la CIA pourvoyeur d'armes sous couverture humanitaire. Et que le jeune Pyle a très vraisemblablement et sans coup férir piqué Phuong à Fowler, malgré leur amitié affichée. La question lancinante tout au long du récit est alors la suivante : Fowler est-il impliqué dans la mort de son rival et néanmoins ami Pyle, au motif inavoué de pouvoir récupérer Phuong ?

Grâce à la mise en scène remarquable de Graham Greene, l'aventure attend le lecteur au détour de chaque page. On assiste aux premiers revers des Français (Diên Biên Phu approche) qui cèderont la place aux Américains pour une seconde guerre d'Indochine qu'on appellera guerre du Viêt-Nam. Les occidentaux achèvent ici leurs rêves, de colonies et de paradis lointains pour les uns, d'un monde sans communisme pour les autres. Dans cette toile de fond, un autre conflit fait rage, la lutte entre deux rivaux pour la même femme, jamais déclarée mais peut-être tout aussi meurtrière.

Ce roman est un pur chef d'oeuvre. Je vous invite à jeter un oeil sur la vidéo postée par mes soins sur Babelio de la bande annonce du film de Phillip Noyce, avec Michael Caine dans le rôle de Thomas Fowler. Si après ça je n'arrive pas à imposer ce roman comme lecture du mois sur le forum, je repars cacochyme me repaître d'amanites au fin fond de la Cochinchine, pour rêver aux Annamites.
Commenter  J’apprécie          328



Ont apprécié cette critique (23)voir plus




{* *}