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Critique de HundredDreams


J'ai tout de suite été séduite par ce petit livre au format carré avec son titre si poétique, l'infinie douceur de la couverture tirée d'une photographie en noir et blanc d'une ourse polaire endormie. J'ai eu envie de partir à la rencontre d'un peuple qui m'a toujours fascinée par sa mythologie, ses croyances et ses rituels chamaniques.

L'ourse qui danse, c'est tout d'abord un hommage à Davie Atchealak, un des plus grands artistes inuit du XXème siècle. Si l'autrice témoigne d'une identité culturelle sacrifiée, en choisissant pour titre le nom d'une de ses sculptures, elle illumine ce récit d'un des animaux les plus emblématiques et symboliques du milieu polaire, l'ours blanc. Elle en fait même le personnage central.

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Imaginez une immensité immaculée et sans frontière jusqu'à ce que les hommes blancs arrivent avec leurs rêves de richesse et de grandeur, leur dogmatisme religieux, méprisant toute vie humaine, piétinant le mode de vie et la culture des communautés autochtones.

L'homme qui se présente à nous est un Inuit d'une quarantaine d'années. Enfant, comme beaucoup d'autres, il a été enlevé de force à sa famille par les services sociaux pour être placé dans un pensionnat, scolarisé, évangélisé et assimilé à la population blanche.
Mais, même coupé de ses racines, il ne s'est pas intégré complètement : il est un homme scindé en deux, un homme de nulle part, un étranger.

Pour renouer avec ses origines, retrouver son identité culturelle et se reconnecter avec le monde des esprits, il entreprend de marcher sur les pas de ses ancêtres en partant sur la banquise avec pour seuls compagnons de voyage, un équipage de chiens de traîneau.

« C'est au cours de ce voyage que j'ai rencontré ma destinée. Destruction. Renaissance. »

Très vite, les gestes oubliées reviennent, et avec eux, les souvenirs. C'est un récit riche d'Histoire et de liens très forts avec la nature et les animaux.
Les Inuits croient aux esprits qui habitent tout être, qu'il soit animal ou végétal. Et si la chasse, la pêche font partie de leur mode de vie et sont indispensables à leur survie, ils ont développé une relation intime et respectueuse avec la nature et la vie animale.

« Les animaux que nous mangeons et dont nous nous habillons, que nous exploitons, que nous spolions, sont nos semblables. Nous savons que nous tuons nos frères et soeurs ; et que nous survivons grâce à leur sacrifice. »

J'ai aimé suivre cet homme fragilisé qui redécouvre son monde et ses lois, qui retrouve son passé. Il est comme un enfant qui fait ses premiers pas seul, se libérant d'un carcan social, culturel, politique et économique imposé.
Mais ce qui rend ce roman émouvant, c'est la sincérité de cette quête qui prend toute sa mesure avec sa rencontre avec l'ourse : quête de soi, quête de sens, quête spirituelle, elle sculpte ce long monologue intérieur en digressions et circonvolutions pour nous ouvrir les yeux sur un monde qui vole en éclats.

« Dans la féminité de l'ourse, l'homme et l'enfant en moi se réconciliaient. »

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J'ai aimé ce roman qui nous entrouvre la porte d'un univers onirique, mystérieux et envoûtant. Simonetta Greggio dessine des paysages d'une beauté sauvage, réussissant magistralement à nous plonger corps et âme dans cet environnement hostile.

« L'aurore boréale, l'arsanek, virevoltait comme une femme aimée qui danse dans ses voiles. Ou comme ces milliers d'oiseaux qui se déploient dans les airs à l'automne, formant les dessins les plus séduisants, les plus changeants et les plus fous. »

En effet, l'autrice a une écriture poétique et profondément bouleversante pour capturer la beauté sauvage de ce monde en souffrance, l'essence de cette ourse majestueuse et puissante, souveraine de la banquise, contrainte à fouiller les poubelles.

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Entre rêve et réalité, « L'ourse qui danse » est un roman riche en symbolisme et en émotions. Cela aurait pu être un récit âpre, plein de rancoeur et de colère, je l'ai trouvé plutôt sincère, davantage tourné vers le futur que vers le passé, avec de forts messages sur les réalités du changement climatique et la nécessité de modifier nos modes de vie et de consommation.
Coiffée de sa longue traîne de dentelle blanche, on pourrait penser que la banquise est préservée des nuisances de l'homme. Mais il n'en est rien, les Inuits sont aux premières loges pour constater les transformations de leur environnement naturel causé par le réchauffement climatique.

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Pour conclure, « L'ourse qui danse » est un conte engagé totalement ancré dans les problématiques sociales et environnementales que vivent les Inuits aujourd'hui. Mais c'est aussi un récit tout en nuances, immersif, sombre et délicat, brutal mais beau, captivant et terriblement émouvant, âpre mais poétique. La plume de l'autrice est magnifique et émouvante, envoûtante, mais jamais larmoyante. Autant de qualificatifs pour dépeindre mes émotions à la fin de ma lecture car je dois vous avouer que mes yeux se sont parfois embués de larmes, en particulier à la lecture des dernières lignes qui laissent des pensées tristes et amères.
Pourtant, j'ai envie de garder en mémoire la magie de cette rencontre entre cet homme et cette ourse au regard si noir et pénétrant.
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