On ne croit pas les victimes.
On n'a pas envie de les entendre.
Elles exagèrent, vraiment !
On voudrait minimiser leur plainte.
Majorer leur responsabilité.
Peut-être qu'elles y sont pour quelque chose ?
Peut-être même qu'elles l'ont bien cherché... Allez savoir !
C'est, toutes proportions gardées, ce qui arrive à chaque mère, à chaque parent : la naissance s'accompagne toujours d'une perte. On perd l'enfant rêvé pour l'enfant réel. On perd sa vie d'avant, sa taille de guêpe, sa liberté... C'est pourquoi ce n'est jamais un bonheur sans ombre.
Être mère, c'est renoncer pour recevoir.
Elle palpe ton abdomen tendu puis, sans prévenir, fourre ses doigts dans ta vulve, jusqu'à la garde. Tu sursautes, électrisée, et ton vagin, aussitôt, se contracte pour chasser l'intruse.
- Si vous ne me laissez pas vous examiner, on ne va pas y arriver ! gronde la sage-femme.
- Je suis désolée...
Pour un peu, tu t'excuserais de ce que ton corps se rebelle. Malgré la contracture spasmodique qui s'y oppose, elle s'acharne, bien décidée à examiner ton col. Tu te tortilles, tentes de refermer tes cuisses.
- Arrêtez ! Vous me faites mal.
Elle grimace.
- Cessez donc de vous conduire comme une gamine.
Les larmes coulent sur ton visage. La sage-femme n'y prête pas attention et tente de passer en force. Tu cries. Elle soupire.
(p. 13)
Ton intimité. Encore un mot de ta mère. Chez tes parents, la pudeur façonnait un monde de circonvolutions langagières dont toute référence directe au corps était bannie. On avait des désordres, des embarras, des imprévus. Mais ni colique, ni nausée, ni règles. D'une tante âgée atteinte d'un cancer, on disait qu'elle voyait le médecin ou qu'elle se rendait à l'hôpital. Et quand la maladie avait eu le dessus, qu'elle s'en était allée. Seule et dans le silence pudibond d'une famille occupée à ne pas voir. Car regarder chez l'autre faisait courir le risque d'être regardé à son tour avec son corps, ses sentiments et l'urgence pulsionnelle.
La langue tenait lieu de paravent. Été comme hiver, les mots étaient boutonnés jusqu'au cou. Dire, ou même mi-dire, c'était déjà médire.
La honte est volatile. Quand l’oppresseur ne l’éprouve pas , elle se pose sur la victime. C’est la double peine.
- Pas de panique, on est là pour vous accompagner. Par ailleurs, je vous verrai en entretien une fois par jour. Court mais intense. Des questions ?
- Vous pensez que je suis folle ?
- Et vous ?
- Non. Oui. Un peu...
- Parfait, ça nous fera une bonne base de travail. A lundi ?
(p. 70)
Est-il possible qu’il faille des hôpitaux pour aider des femmes à rencontrer leur enfant ? Les autres mammifères s’en sortent bien tous seuls !
Etre mère, c'est renoncer pour recevoir.
On a vendu la santé en pièces détachées. Vous verrez qu’un jour , ils privatiseront même l’air qu’on respire.