Il n’aime pas l’idée que certains jours mériteraient de ne pas être vécus, la vie est trop courte pour en jeter des morceaux.
Je ne sais pas mentir, mais je sais me taire.
Vous utilisez encore des cartes de visite, commissaire ? Vous avez un fax aussi ? Des pigeons voyageurs ?
Son genou rebondit dans une oscillation de stress ingérable. C’est une journée qu’il aurait préféré éviter. Passer directement d’hier à demain et se débarrasser d’aujourd’hui.
Et puis, il y a le problème du doute, cette goutte amère capable de vous ruiner toute une marmite de certitudes.
J’allume la petite radio sur ma table de nuit, cadeau de mon père à l’adolescence. Les transistors des années quatre-vingt-dix tiennent plus longtemps que les portables sortis il y a trois ans.
Côme a déjà commandé une tournée de bières que la serveuse propulse sur notre table sans faire tomber la moindre goutte. Je suis sensible à cet art de la dextérité bistrotière. « Bière de Snick, la lambic authentique qui tombe à pic » est inscrit en lettres rouges sur les verres. La serveuse zélée précise à mon intention qu’en vrai, c’est pas une lambic, c’est pour la rime. On lève nos pintes en attendant que l’un de nous lance une sentence à propos. Rien ne vient, alors on hoche la tête, on ferme les yeux et on savoure la première lampée de Snick.
Je pars à Lille demain. On peut se revoir à mon retour dans une semaine ?
Elle sourit.
- En paléontologie, une semaine ce n’est rien.
- Dans la police, c’est une éternité.
La chaleur donne soif et la bière lilloise donne chaud. Un cercle vicieux qui s’autoalimente sans que ce soit désagréable.
Vais-je reprendre un carré de chocolat ou me décider à réduire ma consommation ? Je soupire. C’est un leurre de croire qu’on se libère du tabac. Ces carrés de chocolats noirs millésimés, je peux me convaincre que je les savoure, que je les suçote… La vérité, c’est que je les fume. J’apprécie bien plus le manque vaguement comblé que le goût amer du cacao d’exception.