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Citations sur Un jardin à Téhéran : Une enfance dans la Perse d'avant-h.. (10)

Nounou, qui devint notre cuisinière une fois que nous fûmes grands, était une veuve originaire du Demavend, la haute vallée où nous passions nos vacances d’été. Elle portait le costume traditionnel : une robe à fleurs sur un pantalon bouffant et un foulard blanc attaché sous le menton. Quand elle sortait, événement rare, elle enfilait un léger tchador. Elle avait le teint rose et les yeux vifs des montagnardes, un doux sourire et une nature angélique. Elle était simple et dévouée, en émerveillement permanent devant l’ingéniosité de Dieu et la beauté du monde : une abeille, une fleur, la chair sucrée d’un melon, tout lui tirait des « Oh ! » et des « Ah ! »
En été, lorsque les rosiers étaient en fleur, Nounou faisait le tour du jardin pour admirer et humer leur parfum en rendant hommage au Seigneur et à Sa munificence. Elle s’arrêtait toujours devant la même variété de fleur, rose et capiteuse, appelée « la rose de Mohammad » dont étaient extraites l’essence et l’eau de rose. Elle plongeait le nez dans la fleur la plus somptueuse, inspirait profondément sa puissante odeur, puis expirait en articulant cette pieuse invocation : « Bénis soient le Prophète et les croyants ! » A cet instant précis, une abeille, cachée sous un pétale, venait lui piquer le bout du nez. Ses cris résonnaient dans tout le jardin, suivis d’un formidable remue-ménage. Quelqu’un essayait de faire sortir le poison en lui pressant sur le nez, initiative qui ne faisait que déclencher un nouveau chapelet de cris, et un regain d’agitation. Pendant une bonne semaine, le nez de Nounou gardait la taille et la couleur d’une petite betterave dont la peau aurait eu le granulé poreux d’un nez de buveur de gin impénitent.
— C’est tous les ans la même chose, Nounou. Pourquoi recommences-tu ? lui demandions-nous.
— Vous ne vous étonnez donc pas de la merveilleuse intelligence e Dieu ? Il a donné son parfum à la rose pour attirer l’abeille qui fabriquera le miel. Vous mangez du miel à votre petit-déjeuner, mais vous refusez de rendre hommage à Celui qui l’a fait !
Elle oubliait vite l’accident et, l’été suivant, transportée par la flamboyante luxuriance du jardin des roses et ses enivrants effluves, elle répétait le même scénario.
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Parmi tous les objets précieux que recelait le trousseau de ma mère, le plus beau était le nécessaire à barbe, en écaille et en or filigrané – présent personnel de Hadji Ali-Baba à son gendre –, qui se composait d’un plateau en or, de trois bols également en or s’emboîtant les uns dans les autres, d’un miroir, d’un blaireau et d’un peigne en écaille, tous deux sertis d’or, l’ensemble étant de la facture la plus délicate qui soit. Ma mère se gardait bien de l’exposer, préférant le cacher dans un coffret, enfermé à double tour dans un placard en compagnie d’autres trésors familiaux, d’albums de photos et de quelques menus objets d’une valeur strictement sentimentale. Elle gardait la clef de ce placard dans son sac à main. Elle ne m’a montré ce nécessaire que deux fois, et je me souviens de mon émerveillement […] dans ma mémoire, il symbolisait l’union de mes parents.
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Je repense aussi à l'ambiance chaude et affectueuse , et mon cœur saigne au souvenir des morts, des exilés, des victimes de la révolution et de la guerre, et par-dessus tout au souvenir de la Perse elle-même, humiliée, déchirée en mille morceaux.
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Rien ne doit entraver le pèlerinage de l'âme vers son but. Un jour ou l'autre, ton père sera fier de toi, car tu le surpasseras en érudition comme en renom. Et un beau jour, tes enfants à leur tour te quitteront pour suivre leur propre chemin, qui ne sera pas celui que tu auras choisi pour eux ; tu en souffriras, et l'ordre des choses sera respecté.
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Les Perses transforment n’importe quel événement en drame & n’importe quel drame en crise.
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Je m’arrachai des bras de ma mère. J’ignorais alors quel mal j’allais désormais devoir me donner ne fût-ce que pour obtenir de la part d’autres personnes si ce n’est que le dixième de cet amour qu’elle me prodiguait sans rien exiger en retour, sans que je lui eusse rien demandé ; cet amour, je le laissai derrière moi, je l’abandonnais sans réfléchir.
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Aux réceptions du prince Afsar, les domestiques servaient sans arrêt des boissons et du thé, tandis que les invités continuaient d’affluer et que l’ambiance se réchauffait. Mon père menait la conversation, l’épiçant d’anecdotes et de citations que les invités écoutaient attentivement et ponctuaient fort à propos d’exclamations. Il avait une voix grave et douce, et s’exprimait avec une parfaite éloquence dans le persan le plus pur.
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Outre ces quatre personnes à demeure, nous faisions de temps à autre appel à des extras. Ils venaient nous donner un coup de main pour le nettoyage de printemps, ou au moment des festivités de Norouz, ou encore lorsque nous donnions de grands dîners. Aucun d’eux ne venait chez nous uniquement pour l’argent : ils disaient toujours que c’était un honneur de travailler pour mon père, et certains allaient jusqu’à refuser des travaux mieux payés pour pouvoir le faire. Plus tard, après mon départ de Perse, le boom du pétrole et l’industrialisation devaient donner naissance à une nombreuse et riche classe moyenne, pour qui la pénurie d’employés de maison se révéla un casse-tête permanent – et un sujet de conversation des plus ennuyeux – qu’on finit par résoudre en important du personnel des Philippines, d’Afghanistan et du Pakistan, salarié à prix d’or. Ma mère eut de plus en plus de difficulté à trouver de la domesticité, car elle était obligée d’embaucher cette « nouvelle race » d’employés, « des gens qui travaillent pour l’argent ! ».
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Les passagers furent appelés à embarquer. Je m'arrachais des bras de ma mère. J'ignorais alors quel mal j allais désormais devoir me donner ne fut-ce que pour obtenir de la part d'autres personnes si ce n'est le dixième de cet amour qu'elle me prodiguait sans rien exiger en retour, sans que je lui eusse rien demande; cet amour, je le laissais dernière moi, je l'abandonnais sans réfléchir. Je regardais par le hublot au moment du décollage; nous fîmes le tour des montagnes, et je ne vis plus rien que des nuages.

Douze heures plus tard, j'atterrissais à Paris.
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