Faire semblant, c'est le début du mensonge, et une fois que t'as commencé à mentir, tu ne respires plus jamais.
Nous faisons semblant d'être des adultes. Mais il suffit de regarder à travers une vitre brisée pour constater qu'en réalité, on ne fait que grandir. Nos monstres ne cessent jamais de nous accompagner tout au long du chemin.
Ce que nous laissons dans le passé évolue sur un autre temps. Nos souvenirs ne sont pas linéaires, ils sont des gouttes d'eau dans l'océan.
On passe la moitié de sa vie à attendre d'avoir vingt ans et quand ils arrivent, ils s'enfuient avant qu'on ait eu le temps de les vivre réellement. Les années disparaissent. Il me semble qu'il y a une poignée de minutes encore, j'étais un collégien. Tout s'estompe en ne laissant que des bulles de souvenirs, comme des flaques après la marée.
Après tout, la seule maison qui compte est sans doute celle qui abrite les gens qu'on aime, et celle qui les garde à l'abri du vent.
Je m'assis sur la dune au milieu des oyats couchés par le vent et je pris mes genoux dans mes bras pour conserver un peu de chaleur. L'océan était un refuge. Peut-être que c'était ce que ma mère avait souhaité ; la raison secrète pour laquelle on avait mis nos affaires dans la voiture sur un coup de tête pour aller passer Noël loin de tout et des autres.
C'est ça aussi, devenir adulte : c'est quitter un état dans lequel on reste persuadé que tout sera immuable, que si on ne profite pas d'un lieu ou d'un moment, il restera là, à nous attendre, intouché et identique. On ne sait pas ce que l'on peut perdre. On ne sait pas que les choses s'achèvent.
Et là, dans la lumière d'été, ne suis-je pas heureux? Plus que je l'ai été. J'aurais tant à dire à l'enfant qui se tenait là-haut, désespéré. Tant à lui dire... Mais ce n'est pas dans ce sens que les choses se passent. En réalité, c'est lui qui m'a tout appris de moi.
On trouva du bois flotté pour faire des épées acceptables et après avoir échangé suffisamment de coups et de jurons, on esquissa sur le sable des dessins immenses que l'océan dévora. Une méduse titanesque, flasque et morte, retint notre attention et nous y perçâmes consciencieusement quelques trous pour voir l'eau couler. Puis nous enlevâmes nos chaussures et nous courûmes à la frontière des vagues avant de reculer en criant, et c'était à celui qui s'enfuirait le dernier devant les brisants. La houle nous chahutait et le sel couvrait notre peau. La plage n'avait jamais été à personne avant d'être à nous. La lumière décroissait lentement, libérant sur le sable la morsure de l'hiver et la nuit de décembre. Nous étions immortels.
Comme notre tête est fragile, si facilement détournée de la vérité, si prompte à troquer une réalité pour une autre. Et si la magie de notre enfance venait de là ? Et si tout ce qu'il y avait eu de fantastique, de lumière dans nos yeux et de rêves éveillés n'était que la patine de notre mémoire, de la poussière de songe accumulée ? Peut-être que mes souvenirs sont la seule magie que je suis capable de créer, désormais.