Ordre public : c’est bientôt dit ; c’est un de ces grands mots que chacun répète, en croyant les comprendre. Mais quand on l’arrache de l’abstraction où il fait si bon effet, pour le voir, dans la pratique, à l’état concret, que devient-il ?
Les rédacteurs du Code civil avaient rencontré ces mots dans la vieille doctrine juridique. De définition, point. Ces mots comportent certaines prohibitions, voilà tout.
Au point de vue politique, l’ordre public, pour Louis XIV, c’était le respect de sa volonté. Quiconque y mettait obstacle était ennemi de l’ordre public (…)
L’ordre public, c’était le salut de l’Empereur. Sous la Restauration, ce fut le salut du roi.
Avec le prince Louis Napoléon, ce fut le coup d’Etat : « je suis sorti de la légalité pour rentrer dans le droit » ; ce fut la loi de sûreté générale, en vertu de laquelle le ministère de l’intérieur disait aux préfets : « il me faut tant de proscrits par département. » Napoléon III pouvait ensuite s’écrier fièrement : — l’ordre, j’en réponds !
Ce fut pour la grande cause de l’ordre qu’on fusilla et emprisonna et déporta en masse en 1871 (…)
Tous les ministres continuent de parler au nom de l’ordre. Ce mot est d’autant plus commode que, comme à celui de Dieu, chacun lui donne l’interprétation qui lui convient (…)
Si l’on s’avise de leur dire que l’ordre entrevu à travers tous ces actes paraît une chose assez monstrueuse, ils vont répondront légèrement, en pirouettant sur le talon et en haussant les épaules : — « on ne fait pas d’omelette sans casser les oeufs ». De sorte que, logiquement, la formule pour faire de l’ordre, dans la cuisine politique, consiste en ceci : savoir casser des hommes. La police tient la queue de la poêle, étant instituée pour assurer l’ordre public.