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Critique de HundredDreams


Hubert Haddad est un auteur que je rencontre pour la première fois. Il fait partie de ces auteurs que je souhaitais lire depuis longtemps. Mon choix s'est porté sur « le peintre d'Eventail » en raison de mon attachement à l'art et la nature. J'avais envie de me promener dans ce jardin d'Eden encadré d'un côté, par les montagnes et de l'autre, par le bleu de l'océan.
Le végétal, le minéral et l'animal avec pour écrin, le Pacifique.

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Témoin de la mort d'une passante dont le dernier regard rivé sur le sien le tourmente et l'obsède, Matabei choisit de se retirer au nord-est de l'île de Honshu. Il loue une chambre dans une paisible pension de famille tenue par une ancienne geisha, Dame Hison.
Attenant à l'auberge, se trouve un jardin magnifiquement entretenu par un vieil homme, maître Osaki. Matabei se lie au vieux jardinier, découvrant en lui un extraordinaire talent pour la peinture d'éventail et l'écriture de haïkus. Matabei deviendra bientôt l'élève du vieillard, apprenant l'art du jardin, l'écriture de haïkus qui retranscrit les émotions que lui suggère la nature, la technique du lavis sur des éventails de papier et de soie.
Hubert Haddad effleure avec beauté cette technique picturale, ma curiosité pour la peinture aurait mérité d'entrer de manière un peu plus approfondie dans les détails de cet art traditionnel.

« Depuis sa chambre, Matabei considérait avec une profonde émotion les gestes du peintre. Une sérénité d'un autre siècle émanait de ce globe de clarté au sein duquel un éventail assombri s'agitait de temps à autre comme l'aile d'un papillon de nuit. »

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L'âme du poète et le regard sensible de maître Osaki fusionnent délicatement pour les transposer à l'esthétique du jardin. Ainsi, l'artiste reproduit l'art des lavis au jardin, jouant sur les perspectives, les couleurs, les formes pour guider l'oeil des promeneurs. Chaque massif, chaque plante sont pensés pour former un ensemble équilibré et harmonieux.

« Il travaillait au jardin en artiste, attentif à la métamorphose des saisons. »

C'est avec plaisir que l'on découvre ce jardin perdu entre océan et montagnes, entre forêts de bambous et lac : par petites touches impressionnistes, Hubert Haddad restitue avec poésie, la douceur et l'harmonie du lieu, les jeux de lumière et de couleurs sur les massifs floraux, les chants d'oiseaux, le clapotis de l'eau du bassin dans lequel nagent des carpes koï.

« On y échappait à la loi commune pour l'amour ou par la désespérance ; c'était un havre d'oubli plus que de sérénité, un lieu pour disparaître aux autres ou à soi. »

Hubert Haddad, par la force de son écriture, provoque de douces émotions, appelle à la contemplation et aux rêveries.

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« le peintre d'Eventail » est avant tout un roman d'atmosphère dans lequel viennent enchâsser de magnifiques haïkus.

« Bec et plumes
l'encre est à peine sèche
qu'il s'envole déjà »

Hubert Haddad décrit, à la façon d'un poète. Son écriture, particulièrement belle, sensible, mélodieuse, recherchée et métaphorique, se pare d'images dans un kaléidoscope de couleurs, de sonorités, de parfums et d'émotions, pour tisser, en toile de fond, ce merveilleux jardin. C'est une estampe japonaise qui fait naître des sensations et des impressions.

« Créer des paysages, … c'est assimiler la loi d'asymétrie et le juste équilibre comme un art de vivre. Les chemins de rosée, les sentiers sous les arbres et les passes de gué avec tous ces riens échelonnés, cette pierre, l'eau vive d'une rigole, cette branche basse, voilà le parcours intérieur. »

La vie s'écoule doucement dans ce cadre hors du temps, rythmée par le calme et l'harmonie du jardin, le chant des oiseaux, les confidences discrètes des deux hommes, les résidents de la pension, dessinant lentement le carrousel de la vie avec ses bonheurs et ses maux, ses passions et ses drames intimes.
Le passage du temps entremêle subtilement passé et présent.

Le lecteur trouve une forme d'apaisement dans ce décor silencieux empli d'éclats de lumière et d'ombres, de sensualité et de déchirements, de pudeur et d'impudeur.

« Trempée de rosée
dans les parfums de cent fleurs –
tu t'éveilleras »

Mais pour ma part, tout en étant admirative de la prose de l'auteur, l'histoire, trop contemplative, parsemée de longueurs, a eu aussi pour effet de me détacher insensiblement de ce jardin et de ses habitants.
Mon esprit s'est mis à vagabonder, à flâner, à voyager entre douceur et douleur, tendresse et tristesse, jusqu'à ce qu'un drame inattendu me sorte de mes rêves et me ramène à la brutale réalité. Dans les tourbillons enchevêtrés de l'horreur, les évènements passés et présents prennent une direction imprévisible.

Hubert Haddad évite subtilement l'écueil du sentimentalisme. Au contraire, j'ai vraiment aimé cette rupture soudaine et violente avec l'atmosphère de cette première partie. L'ambiance cataclysmique est magnifiquement rendue, c'est douloureux, tragique, émouvant, poignant. C'est très étrange de dire cela, j'ai trouvé de la beauté dans le cheminement de Matabei.

« le chant éperdu des oiseaux de la forêt laissait croire à l'innocence du jour. Il avait rêvé de son vieux maître aux cendres délavées qui lui parlait du jardin des nuages et des fleurs de la mémoire. »

Une fois le livre refermé, mon impression sur le début de l'histoire s'est modifiée. En effet, à la lumière de l'ensemble du récit, je ressens autant un équilibre qu'une continuité entre ces deux moments bien distincts. C'est comme une boucle, un prolongement, un héritage qui se transmet et se perpétue entre maître et élève.

« On peut exprimer sa pensée avec des couleurs, des mots, mais aussi avec ce que tu vois : les plantes, l'eau et les pierres. Là, il faut compter avec l'adversité, le vent et la pluie, les saisons. le jardin vit de ta vie, c'est la différence… »

*
Tout au long du récit, se déploient des beaux thèmes autour de la transmission, de l'art qui fusionne avec l'intime et redonne du sens à la vie, de la mémoire et des souvenirs, du traumatisme et des regrets, de la nature qui s'invite dans les drames de la vie.

« Chant des mille automnes
le monde est une blessure
qu'un seul matin soigne »

*
Pour conclure, « le peintre d'Eventail » n'est pas le coup de coeur que j'attendais, mais c'est un joli roman initiatique parsemé de haïkus, émaillé de magnifiques passages descriptifs, avec pour toile de fond la nature, îlot de verdure où les hommes s'isolent, se reconstruisent, se rencontrent, se déchirent, s'aiment, s'éloignent, pleurent.
Un roman sensible et maîtrisé où le temps donne matière à des réflexions philosophiques.
Un roman sur la résilience que je recommande pour tous les amoureux de romans d'atmosphère, de beaux textes qui cisèlent la vie, la mort, le destin de chacun.

« La vie est un chemin de rosée dont la mémoire se perd, comme un rêve de jardin. Mais le jardin renaîtra, un matin de printemps, c'est bien la seule chose qui importe. Il s'épanouira dans une palpitation insensée d'éventails. »
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